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La vie n’est pas un long fleuve tranquille. Camille Lacourt fait partie de ces très grands athlètes qui ont un temps marqué leur discipline. Cinq titres mondiaux, champion de France à de multiples reprises… le nageur et dossiste laissera derrière lui une jolie carrière. Avec, c’est vrai, un petit goût d’inachevé. Non Camille Lacourt n’a jamais remporté de médaille olympique, sans doute son plus gros échec sportif. Mais ce n’est sans doute pas grand-chose à côté de ce qu’apprendra quelques années plus tard le sportif de haut niveau : le cancer du sein de sa compagne, Alice Detollenaere. Alors qu’il est enfin sorti du tunnel – il a connu burn out et dépression – Camille Lacourt s’installe avec sa nouvelle compagne, lui qui a déjà eu une petite fille avec Valérie Bègue, miss France 2008. Apprendre le cancer d’Alice… les deux amoureux se prennent un uppercut. « On est passés par tous les états. Alice m’a laissé une porte de sortie, raconte-t-il, car elle a un temps douté que je ne pourrais plus l’aimer tout à fait de la même façon ». Inenvisageable pour Camille Lacourt, qui choisit d’accompagner Alice et faire face à deux à la maladie. L’ex-nageur découvre alors toute l’ambiguïté de ce nouveau costume : « je souffre mais ce n’est pas moi le malade », peut-on se plaindre quand un très proche vit une telle épreuve ? Aujourd’hui le combat continue, notamment à travers l’association Ruban Rose, dont il est le visage de la campagne de sensibilisation d’octobre. Surtout, Camille et Alice ont eu, c’était en 2021, un petit garçon. Une famille recomposée comme il en existe aujourd’hui tant en France. Entretien.
LE LIVRE
Guérie par ton amour, Alice
Detollenaere, aux éditions Leduc,
2021
« Plus qu’une responsabilité, parler
de mon expérience est devenu
un devoir, afin que d’autres se
prémunissent et n’aient plus peur,
en parlant de leur maladie, de
se montrer fragiles et faibles. Ce
courage, c’est mon homme qui me
l’a insufflé. Alors que je craignais
qu’il ne me quitte, il m’a enseigné la
leçon de vie la plus importante que
j’aie jamais reçue. Pour avancer, il
est nécessaire de faire confiance.
Seule, on n’est rien […] Je souhaite à
chaque femme d’être accompagnée
comme je l’ai été par un conjoint, un
ami, une mère. La peur de parler
n’est pas sans fondement : tant de
gens disparaissent lorsqu’il est
question de maladie », écrit celle qui
partage toujours la vie de Camille
Lacourt. Un livre bouleversant qui
témoigne d’un combat à deux face à
la maladie, le cancer du sein.
Quand commencez-vous à croire qu’une carrière est possible ? Et comment peut-on concilier l’école avec des entraînements intensifs ?
C’est long à venir. À cinq ans, vous pensez simplement à être dans l’eau. Je prenais plaisir à nager, mais sans me projeter. Là où j’ai grandi, à Font- Romeu (Pyrénées-Orientales, ndlr), j’ai eu la chance de fréquenter un collège qui me permettait de bénéficier d’horaires aménagés pour pouvoir m’entraîner une fois par jour. Idem au lycée, j’ai intégré une filière sport-études où je faisais cinq heures de sport chaque jour en plus des cours traditionnels. J’avais cette passion pour le sport, cela me permettait aussi de me défouler, d’être avec mes amis. L’école ne m’a jamais trop intéressé, même si je faisais toujours le strict minimum pour passer à la classe supérieure.
Mes parents n’étaient pas trop inquiets pour l’école car ils me voyaient heureux, c’est ce qui comptait. Au collège et au lycée, je ne parlais pas trop de carrière c’était trop arrogant… surtout dans le milieu de la natation, très élitiste. Et puis, je le concède, j’aimais aussi profiter de ma jeunesse. Le déclic arrive lorsque je me fais virer de Font-Romeu. À partir de là, je rejoins le groupe de Philippe Lucas, j’ai commencé à travailler vraiment. Bizarrement quand on travaille beaucoup et que l’on est plus sérieux dans les entraînements… cela fonctionne mieux ! Voilà sans doute l’étape qui m’a fait basculer vers le sport de haut niveau.
Votre expérience avec Philippe Lucas, quelle était-elle ? On le sait très exigeant…
Philippe (Lucas, ndlr) n’était pas et n’est pas celui que l’on peut voir à la télé. Dès qu’il y avait les caméras, des nageurs étaient virés lors des entraînements alors que cela n’arrivait jamais ou presque hors caméra. Je n’ai pas vécu du tout un management par la peur, loin de là. C’est lui qui a été là lorsque j’ai remporté mes premiers titres de champion de France, et quand j’ai décroché mon premier record de France. Il était là aussi lorsque je me suis blessé en 2008, ce qui a annulé mes chances de participer aux Jeux de Pékin. En 2012, à Londres, je ne remporte pas de médaille, il m’a soutenu même s’il n’était plus mon entraineur. Nous nous sommes quittés en bons termes.
Vous avez été champion de France et champion du monde à plusieurs reprises, est-ce qu’une médaille sort du lot ? Celle qui vous a le plus marqué.
Sans hésiter, la médaille d’or du 4 fois 100 m 4 nages à Barcelone en 2013. D’abord parce que je suis champion du monde avec mes potes, et notamment Jérémy Stravius. Et puis parce que cette médaille arrive deux heures à peine après ma victoire au 50 m dos en individuel, et six mois après mon burn out, à l’issue d’une contre-performance aux Jeux olympiques de Londres en 2012. D’ailleurs, je crois que c’est mon plus grand regret. Mon plus grand échec dans ma carrière : ne pas avoir réussi à décrocher une médaille aux JO ! Franchement cinq titres de champion de monde… et aucune médaille olympique, c’est frustrant. Je ne le sentais pas en 2012, j’avais dit à mon coach que je n’étais pas assez fatigué durant les séances d’entraînement, j’aurais dû changer d’entraîneur. Oser le faire. Je ne lui en veux pas, c’est moi qui ai construit mon échec. Ma dernière médaille était belle aussi, à Budapest, le 50 m dos, en 2017. Tout le monde était là, mes proches, le staff… c’était un beau clap de fin.
Parmi les moments difficiles de votre carrière, vous en avez parlé, il y a ce burn out après l’échec de 2012 et votre quatrième place. Comment avez-vous remonté la pente ?
Après cet échec, je restais chez moi, sans rien faire, je n’avais pu forcément goût à quoi que ce soit. C’est difficile d’admettre que l’on traverse une mauvaise période, d’autant plusque la dépression, dans le monde des sportifs de haut niveau, c’est pour les faibles. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, du moins je l’espère. Bref j’ai essayé de déconnecter mon cerveau. Lorsque mon ex-femme (Valérie Bègue, ndlr) a fait son échographie des huit mois, car j’attendais une fille, j’ai enfin recommencé à remettre un réveil, me raser, me bouger tout simplement. Sortir et aller à la boulangerie. Renouer avec les choses simples de la vie finalement.
Nous avons compris qu’il fallait communiquer en continu
Et la retraite sportive, en 2017, comment l’avez-vous vécue ?
Je n’ai pas eu trop de mal à accepter l’idée de mettre un terme à ma carrière. Ce qui m’a fait le plus de mal : prendre conscience de la personne que j’avais été. J’ai ressenti un tel décalage par rapport à ce que j’aurais vraiment voulu être. Oui pendant 10 à 15 ans j’ai été un sportif de haut niveau, peut-être pas au meilleur niveau que j’espérais d’ailleurs, mais tout tournait autour de mes performances. Il a fallu déconstruire le château de cartes de cette personnalité, pour en reconstruire un autre. Et ce pour être davantage en accord avec moi-même. Pas simple à 32 ans de réapprendre à savoir qui l’on veut être vraiment.
Cette nouvelle personnalité, vous la construisez aussi avec votre nouvelle compagne, Alice Detollenaere ?
J’étais en effet encore « en travaux » lorsque j’ai rencontré Alice. J’ai effectivement continué à me construire à ses côtés. On a trouvé notre équilibre, j’allais mieux. On a d’ailleurs eu un enfant ensemble, Marius, qui est venu au monde le 1er juin 2021.
L’ASSOCIATION
RUBAN ROSE EN BREF :
=> Ruban Rose informe et sensibilise sur les cancers du sein depuis 30 ans et soutient la Recherche avec les Prix Ruban Rose depuis 20 ans ;
=> Le cancer du sein est le cancer
féminin le plus fréquent, cela représente 1 femme sur 8… C’est la première cause de décès par cancer chez la femme (12 000 décès par an) ;
=>Depuis le 1er octobre a démarré le mois de sensibilisation « Octobre Rose », initié par l’association « Ruban Rose » ;
=> Durant cette période, l’association incite les femmes de tous âges à se faire examiner ;
=> La prise en charge précoce d’un
cancer du sein de petite taille, c’est
99 % de chances de guérison, 5 ans
après le diagnostic ;
=> Les trois marraines de Ruban
Rose : Evelyne Dhéliat, Claudia
Tagbo et Alice Detollenaere.
Alors que votre relation se passe pour le mieux, Alice apprend une nouvelle terrible.
Alors que l’on vient de s’installer ensemble, dans un nouvel appartement, Alice apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. On se prend un uppercut. Vraiment on ne comprend
pas ce qu’il se passe. Alice a très vite franchi les étapes du déni et de la colère. Je m’en souviens, alors qu’elle était belle-mère à ce moment-là, pas encore maman de notre Marius, elle m’a laissé une porte de sortie. « Je ne suis pas sûre que tu aies envie de vivre ça avec moi, et notamment avec ta fille de six ans », m’a-t-elle dit. La quitter n’était pas une option pour moi. Oui j’ai eu peur de ce qui allait se passer. Mais je l’aimais, peu importe la maladie.
Evidement il y a Alice qui souffre de ce cancer. Vous, à côté, il n’est pas facile non plus d’accompagner la maladie d’un très proche. Comment avez-vous réagi ?
« Il n’est pas facile d’être l’accompagnant. Il n’est pas possible de se plaindre. Nous avons la santé, mais nous souffrons aussi, en silence et de façon invisible », c’est ce que j’ai écrit en préface de son livre (Guérie par ton amour, ndlr). C’est vrai ce n’est pas moi le malade. Donc c’est très difficile de montrer ses souffrances aussi, et puis on se dit que ce n’est pas bon pour elle de me voir friable. Heureusement, et c’est crucial, nous avons compris qu’il fallait communiquer en continu. Essentiel je crois d’être capable de se mettre à nue dans ces moments-là. Dire et assumer nos ressentis, notre état. Je suis celui qui l’accompagne, la soutient, évidemment, avec moi aussi mes phases où je suis plus vulnérable. Ces phases où je me pose des questions, l’incertitude est ce qui est le plus difficile à accepter. Car médicalement c’est difficile de savoir ce qui va se passer.
Pour aller plus loin dans ce combat, vous avez accepté d’être le visage de la campagne de sensibilisation de l’association Ruban Rose
Alice, Claudia Tagbo et Evelyne Dhéliat sont les trois marraines de l’association Ruban Rose. Moi cette année, je vais être le visage de cette campagne de sensibilisation. J’ai mis du temps à accepter car je ne voulais pas m’attribuer les mérites. Tellement d’autres gens, bien moins connus, vivent exactement la même chose que moi. Je ne voulais pas prendre leur place. L’association m’a rassuré en me disant que c’était aussi une manière de les mettre en avant euxaussi. J’ai un immense respect et une profonde admiration pour les couples et les hommes qui vivent ce que l’on a vécu. Beaucoup restent auprès de leur amour et ne fuient pas.
Aujourd’hui, quelles sont vos principales activités ?
Je donne nombre de conférences en entreprise pour partager mon parcours de sportif de haut niveau, notamment sur les exigences qui permettent de réussir. Je crois qu’il y a sur ce point des similitudes entre le monde du sport et l’entreprise. Et à côté de cela, je m’implique pour mettre en lumière nombre de causes. Évidemment Ruban Rose en fait partie. Mais je soutiens aussi d’autres associations qui ont toutes des nobles causes (par exemple Sourire à la Vie qui prend en charge et accompagne au quotidien les enfants, adolescents et jeunes adultes, atteints de cancers, ndlr).
Je reste aussi très engagé dans le développement de l’application Ploofff (créée par Joël Le Gall, ndlr). Le principe de cette appli dédiée aux leçons de natation est simple : mettre en relation les utilisateurs avec les maîtres-nageurs diplômés.
Et puis il y a votre vie de famille également. Une vie de famille recomposée.
Bien sûr, la vie de famille aussi c’est du sport au quotidien ! Alice s’entend bien avec mon ex-femme, et mes deux enfants Jazz et Marius sont aussi très complices. Je suis assez papa poule, c’est-à-dire que j’organise mon travail en fonction de mes enfants… et non l’inverse. J’aime les emmener ou aller les chercher à l’école. Tous ces actes du quotidien qui font que je reste très proche d’eux.
La notoriété, comment vos enfants la vivent-ils ?
La notoriété fait partie de ma vie. Il y a en réalité plus d’avantages que d’inconvénients. Ma fille, puisqu’elle a déjà 12 ans, a bien compris que j’étais connu et l’a intégré. Mon garçon en revanche, qui n’a que trois ans s’interroge toujours : « Pourquoi on te demande toujours des photos ? » (rires). Il comprendra plus tard.
SA CARRIERE EN TROIS
CHIFFRES
=> 5 : le nombre de titres mondiaux
gagnés dans sa carrière. Dans
le détail : le 100 m dos, ex aequo
avec Jérémy Stravius, à Shanghaï
en 2011. Le 50 m dos et le 4×100
m 4 nages en 2013 à Barcelone
et le 50 m dos en 2015, à Kazan.
Sans oublier son titre mondial sur
la même distance à Budapest en
2017 ;
=> 14 : entre 2007 et 2017 Camille
Lacourt a gagné quatorze titres
de champion de France sur les
vingt-deux distribués sur 50 et
100 m dos ;
=> 0 : son bilan de médaille aux Jeux
olympiques… il a pris la 4e place
du 100 m dos à Londres en 2012
et la 5e place à Rio.
PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE