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Grandir au sein d’une famille aimante et où la parole y est libre, même avec peu de moyens, constitue un socle sur lequel s’appuyer pour envisager de grandes choses. Né en 1964 dans le XVe arrondissement de Paris, Bruno Lassalle – dit Solo – a vécu une enfance heureuse. Bon élève mais sélectif, il se hisse jusqu’au baccalauréat, qu’il obtient, grâce à son intérêt pour les disciplines littéraires : l’Histoire au premier chef. Lui qui a toujours voulu « faire comédien » enchaîne les petits boulots, des librairies à la rédaction d’un petit journal musical tout en multipliant les spectacles avec sa troupe de théâtre. À force de figuration, l’autodidacte, qui n’est ni passé par le Conservatoire ni par le cours Florent, se fait repérer… par un certain Yvan Le Bolloch’. Deux trublions faits pour se rencontrer, pour faire rire. Pour le comédien les succès s’enchaînent : le Top 50, La vérité si je mens !, « Caméra Café »… Lassalle devient Solo. Un esprit libre. Un comédien populaire, qui fait honneur à ses origines, aussi bien au cinéma que sur les planches. Et surtout un passeur. Avec cette envie de transmettre sa passion pour l’Histoire. Grâce aux livres, avec notamment Les Visiteurs d’Histoire. Et puis la série, celle dont il est peut-être le plus fier : La Guerre des trônes, depuis 2017. Bruno Solo, dans un rôle de conteur, décrit comment l’Europe s’est créée depuis la guerre de Cent Ans à Napoléon (saison 8). Un rythme effréné qu’il sait tempérer lorsqu’il le faut, pour être là où il se sent le mieux, aux côtés de sa femme et ses deux enfants. Entretien.
Racontez-nous votre enfance. Dans quel environnement avez-vous grandi ?
J’ai eu une enfance heureuse. Notamment parce que j’ai eu la chance d’être élevé dans un milieu où la parole était libre, où mes parents n’hésitaient pas à répondre aux questions, à ma soeur et moi. Pas de tabou. Mon papa était « OHQ » (ouvrier hautement qualifié, ndlr) et plus précisément staffeur, plâtrier d’art. Un homme autodidacte, mais pour autant très érudit et cultivé. De son côté ma maman n’a longtemps pas travaillé, hormis dans quelques librairies lorsque mes parents se sont séparés… sans divorcer ! Ils étaient les meilleurs amis du monde.
Nous sommes le fruit, en partie, de ce que notre entourage nous transmet. Quelles valeurs vous ont été transmises ?
« Ta joie d’apprendre doit être plus grande que celle de savoir ». Voilà ce que me répétait sans cesse mon papa. Tout est dit, c’est lui qui m’a transmis cette curiosité. J’ai grandi dans un milieu modeste, certes, financièrement en tout cas. Mais mes parents ont toujours été très aimants, avec cette volonté de m’accompagner, de me montrer le chemin. Le quartier de mon enfance, du côté de Beaubourg, n’était pas bien riche, mais il y avait cet accès à la culture. J’ai hérité de cette curiosité, ce qui m’a sans doute permis d’être bon élève à l’école, particulièrement dans trois disciplines : Histoire, français, philosophie. Même si j’avais quelques difficultés d’apprentissage, notamment en mathématiques. J’aimais tellement l’Histoire que mon père nous avait emmenés, ma maman, ma soeur et moi, au Portugal pour comprendre ce qu’était une révolution de l’intérieur (les OEillets, ndlr). En 1974, le peuple s’est rebellé pour se dessiner un horizon, après quarante ans de dictature de Salazar.
Ma maman, elle, était très sociable, affable. Je lui dois cette capacité d’adaptation. Les clients l’adoraient lorsqu’elle travaillait dans les librairies : « Ce livre-là ? Non il n’est pas terrible… prenez plutôt celui-ci il est bien mieux ! » C’était simple, sans artifice.
Très vite donc, vous voulez devenir comédien ?
Oui, à treize ans déjà je savais que je voulais devenir comédien. Dès que je l’ai annoncé à mes parents… mon père m’a tout de suite dit : « eh bien j’espère que tu feras vedette parce que ce n’est pas avec ma retraite qu’on va s’en sortir ! » (rires). Ils ne m’ont pas dissuadé de le devenir, simplement ils voulaient que je pense à un plan de secours. Parce que devenir comédien prend du temps. Moi je ne voulais pas faire autre chose, j’ai commencé à monter une troupe de théâtre à 16 ans. C’était du théâtre de rue au début, on allait jouer des spectacles dans les écoles. Je n’ai fait ni le Conservatoire, ni le cours Florent, par lesquels beaucoup de ce métier passent. J’ai voulu monter sur les planches directement.
Problème la mayonnaise ne prend pas tout de suite… Vous enchaînez les petits boulots ?
Hélas, j’ai connu dix années difficiles. La troupe de théâtre c’est bien, mais ça ne fait pas manger. Et c’est d’autant plus difficile sans le réseau ni les bons contacts. Mes premiers jobs ? travailler dans une librairie, on ne s’invente pas ! Notamment pour Boulinier et Gibert Jeune. J’avais monté un journal avec un copain aussi, Concert Magazine. On écrivait des articles, des chroniques, sur la musique. Je m’entretenais avec les artistes. C’était agréable, ayant grandi avec les Beatles, Led Zeppelin, puis les années 80. Mais le journal a fini par couler.
C’était une période délicate où j’étais convaincu de ce que je voulais faire, comédien, mais ça ne prenait pas, alors il fallait bien vivre en attendant. Mon passage par l’armée aussi, promotion 86, dans les rangs du 32e régiment de l’artillerie nucléaire à Oberhoffen, à la frontière allemande, m’a marqué. Vous côtoyez des hommes aux parcours multiples. Certains s’intéressent un peu à la culture, d’autres moins. Je me souviens aussi d’anecdotes bouleversantes, comme ce sergent qui ne punissait jamais personne car incapable de rédiger le moindre rapport. Cette expérience a duré un an, j’y ai beaucoup appris.
Et puis, c’est Yvan Le Bolloch’ qui vous repère ?
Oui, la figuration finit par payer. C’est grâce à Thierry Ardisson que nous nous sommes rencontrés. Yvan recherchait quelqu’un pour un rôle d’arbitre dans « Télé Zèbre ». Puis dès 1991, on présente le Top 50 sur Canal+. Ma vie a vraiment changé du tout au tout. Je passe du RMI (Revenu minimum d’insertion, ndlr) à plus de 80 000 francs par mois ! Vous pouvez faire les restaurants qui vous plaisent, sans regarder le prix, et vous ne volez plus dans les supermarchés… ce qui m’est arrivé plus jeune. Je n’ai jamais été un homme d’argent, mais j’ai vu la différence entre mes années de galère et mon arrivée au Top 50. Ensuite, les succès vous les connaissez : La vérité si je mens !, au cinéma et « Caméra Café » évidemment à la télévision.
« Caméra Café », c’était un humour qui allait loin dans la caricature. Serait-ce toujours possible aujourd’hui ?
Dans « Caméra Café » nous traitions tous les thèmes. Y compris les plus délicats comme l’homophobie, le racisme ou le sexisme. Ce qui donnait lieu à des personnages parfois monstrueux dans leurs propos. Voire caricaturaux. Mais la série laissait place aussi à une grande tendresse, de la poésie. C’est ce qui explique son succès. À l’époque, même si le programme pouvait ne pas plaire à quelques personnes, l’écho restait mesuré. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux tout est décuplé, les critiques enflent plus rapidement et sont bien plus visibles. C’est pourquoi d’ailleurs on ne retrouve plus ou très peu à la télévision un humour qui heurte, qui transgresse, qui dérange vraiment. J’aime trop l’humour pour accepter de jouer dans des comédies qui ne le respectaient pas suffisamment.
Maintenant, on vous connait aussi grâce à la série La Guerre des trônes, dont la saison 8 sera diffusée dès le 19 décembre sur France 5.
C’est l’une de mes plus grandes fiertés. « Fin de l’histoire », voilà ce que j’aimerais voir sur mon épitaphe. Cela fait des années que j’évoque ma passion pour l’Histoire, sur à peu près tous les plateaux de télévision. Une passion qui est arrivée jusqu’aux oreilles de Vanessa Pontet, l’ex-rédactrice en cheffe de « Secrets d’Histoire » et donc… réalisatrice de La Guerre des trônes. Elle avait apprécié mon rôle aussi de Mendès France (Accusé Mendès France, 2011, ndlr). Et voilà que la série dure depuis 2017 ! Je reste comédien tout en transmettant ma passion, je ne peux vraiment pas rêver mieux.
Les faits sont objectifs, mais l’interprétation que l’on en fait, elle, peut être subjective. Vous avez votre manière de raconter les faits.
Bien sûr. Nous échangeons avec Vanessa avec nombre d’historiens, de spécialistes. Et nous lisons beaucoup évidemment. Et dès lors que j’ai toute la substance, je la transmets en insistant sur ce que je considère comme essentiel à mettre en avant. C’est un arbitrage, donc c’est subjectif. Mais aucun historien ne peut venir contester ce qui est raconté dans cette série. J’évite de faire de l’Histoire spectaculaire, de faire la lumière sur des débats que j’estime sans intérêt. Par exemple « Jeanne d’Arc était-elle un homme ? », ou les polémiques autour de la localisation de la bataille d’Alesia…cela ne m’intéresse guère. En revanche, Louis XIV qui promulgue l’édit de Fontainebleau, et qui révoque l’édit de Nantes par lequel Henri IV reconnaissait en 1598 la liberté de culte aux protestants… un fait comme celui-ci j’ai envie d’en parler !
Vous avez cette envie de transmettre. Au fond n’auriez-vous pas aimé devenir professeur ?
Si et je crois que j’aurais plutôt été un bon professeur. La comédie, le théâtre, le jeu… tout cela requiert ce dont un professeur a le plus besoin : être en mesure de captiver une audience. Je crois que j’aurais su intéresser les élèves. Mais ce n’est pas grave, une série comme La Guerre des trônes contribue à enseigner quelque chose, de façon plus ludique et accessible.
Lorsque l’on est à la fois comédien, auteur, réalisateur… arrive-t-on à couper et prendre du temps avec ses proches ?
Je sais très bien couper quand il le faut ! Lorsqu’un tournage s’achève, pour moi c’est fini. Je revois peu les gens du métier à l’extérieur. Peut-être aussi parce que je suis autodidacte et que je n’ai donc appartenu à aucune promotion. Le syndrome de l’imposteur, je l’ai subi. Ce sont les autres qui vous ramènent parfois à ce que vous n’avez pas fait. Avec le temps, ça passe peu à peu.
Comment vos enfants vivent-ils votre notoriété ?
En trente-cinq ans de carrière je n’ai jamais accepté un reportage en famille, ou des photos qui pourraient exposer mes enfants. C’est une façon pour moi de les préserver. Je ne suis pas non plus sur les réseaux sociaux… à raconter ma vie (rires) ! Je suis né dans une famille très aimante, je veux la même chose pour mes deux enfants, Angèle et Tom, que j’élève avec ma femme, Véronique.
En dehors de la comédie, de l’Histoire, et de votre famille, y a-t-il une place pour d’autres activités ?
Faire du sport, courir notamment. J’aime beaucoup le foot, mais j’ai toujours été plus intéressé par le rugby et le tennis. Je pratique le golf aussi de temps en temps, eh oui on s’embourgeoise (rires) ! Le ski également, j’aurais adoré être skieur professionnel. Et puis la culture, le théâtre et les musées. Là aussi nous, parents, avons ce rôle de transmission auprès de nos enfants. L’autre fois, lorsque ma fille a reconnu un Miro… Une grande fierté ! Des petites choses qui vous rendent heureux.
PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE.