Morphée, ce goujat

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L’adolescent et le sommeil : comment concilier l’inconciliable ? Et balayer les pratiques qui parasitent l’endormissement de nos enfants.

Nous consacrons un tiers de notre vie à dormir. Le sommeil est intimement lié à une bonne récupération physique, et l’on sait aussi depuis peu qu’il est nécessaire à l’apprentissage. Mais en 50 ans, le temps consacré réduit comme peau de chagrin. Une heure trente de sommeil en moins ! Et les sondages annuels de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) le confirment : les adolescents manquent tous de sommeil. Pourtant, les troubles du sommeil sur le long terme sont associés à des conséquences graves et néfastes : troubles psychiques, difficultés d’apprentissage, risque accru de maladies cardiovasculaires, d’obésité ou de diabète voire de cancers…

Le fléau des usages numériques

« La pression sociale suscitée par l’usage des nouvelles technologies, c’est l’un des premiers facteurs qui perturbe le sommeil des adolescents ; ne pas louper le dernier sms, être bon à l’école, vivre avec le téléphone sous l’oreiller, avoir un contact permanent avec les médias, etc. », lance Christine Cannard, responsable du Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition de l’université de Grenoble.

Ne vous leurrez pas chers parents lorsque vos enfants passent des heures devant les réseaux sociaux, ils ne créent pas de liens. « À un âge où l’on doute beaucoup et où l’on cherche à se rassurer, l’usage des réseaux sociaux se réalise dans une optique d’évaluation. Les adolescents cherchent à savoir ce qu’ils valent via les commentaires, le nombre d’amis, les likes ou les dislikes… Et l’autoévaluation d’un ado se réalisera automatiquement avec les autres sur les mêmes sujets. D’un point de vue neuronal, les réseaux sociaux agissent sur le circuit de la récompense qui produit de la dopamine. Cela entraîne donc parfois l’envie d’y retourner », analyse Christine Cannard. Le cercle peut rapidement devenir vicieux.

Cette propension à éprouver des difficultés à se coucher s’accompagne d’autres facteurs biologiques qui eux pèsent également en faveur d’un sommeil troublé.

« La diminution de la mélanine est aggravée par l’usage des écrans et leur fameuse lumière bleue », continue l’experte. Gare à l’excitation intellectuelle suscitée par les usages numériques qu’il s’agisse de jeux vidéo ou d’émotions déclenchées dans le cadre des réseaux sociaux, les écrans sont une source de nuisances. Et le stress des questions va grandissant avec leur utilisation : échec scolaire, relation amoureuse… « Cela entraîne des ruminations qui vont retarder l’endormissement de soi. Cela s’ajoute aux facteurs biologiques », explique la spécialiste.

Dans les faits, les dernières études montrent que les réseaux sociaux sont davantage l’apanage des filles tandis que très classiquement le jeu vidéo reste un jeu de garçons.

« Ces pratiques peuvent troubler le sommeil mais il faut aussi être vigilant à ce que ces comportements ne dérivent pas vers des addictions en tant que source de plaisir et de satisfaction qui prend de plus en plus le pas sur le reste de la vie de l’ado », met en garde Christine Cannard.

Le manque de sommeil ou le sommeil troublé résultent ce faisant de facteurs biologiques et sociaux et peuvent créer un décalage entre le système limbique et le système préfrontal. Autrement dit, le fonctionnement du cortex préfrontal, la partie antérieure du cortex du lobe frontal, siège des différentes fonctions cognitives dites supérieures (notamment le langage, la mémoire de travail, le raisonnement) ne serait pas aligné avec le système limbique, appelé parfois cerveau limbique ou cerveau émotionnel, d’où certains dysfonctionnements. « L’adolescent est dans une période de croissance très importante. Le sommeil possède un rôle clé dans la maturation cérébrale. Tout comme les comportements excessifs agissent très fortement sur les organismes », explique l’experte. Par exemple, une étude comparant différents groupes d’âge a montré que les binge drinkers semblent présenter des performances mnésiques inférieures à celles de non-buveurs du même âge mais similaires à celles de participants sexagénaires non-buveurs ce qui a conduit à la proposition que le binge drinking conduirait à un vieillissement cérébral prématuré (in Weekend alcoholism in youth and neurocognitive aging, université de Madrid).

Comment résister ?

« Pour que nos enfants puissent résister face à ces usages, il faut leur donner les moyens d’être eux-mêmes et de ne pas confondre leur identité collective avec leur identité personnelle. Car si l’identité collective permet de physiquement se détacher de la famille et incarne un passage obligé, cette dernière exagérée dans le cadre des réseaux sociaux peut être facteur de stress et de doute chez l’adolescent », souligne Christine Cannard.

L’un des conseils de l’experte revient à éduquer nos enfants quant à la nature de l’information. Comment gérer chez votre ado une news qui annonce l’agression d’un jeune dans le quartier, d’une rupture amoureuse, d’une rumeur…? « On ne sait pas dans quelles conditions l’information est reçue. Par mail, par image ou par vidéo, la peur du harcèlement est également forte. Il n’existe pas de recette miracle. Mais une déconnexion le soir peut être salutaire », propose Christine Cannard.

Idéal versus réalité

Les spécialistes s’accordent sur le fait de calquer le rythme du sommeil de l’ado sur le rythme jour/nuit d’autant que de nombreux phénomènes biologiques sont en synchronie avec le jour et la nuit. Mais tout dépend des besoins de votre enfant. Et bien évidemment, vous devrez également composer avec leur insouciance qui leur fait souvent oublier leur fatigue pour ensuite dormir en classe le lendemain.

« Il ne faut pas tomber dans le piège inverse qui consiste à dire aux enfants d’aller se coucher tôt et en même temps on le sait en tant qu’adulte, si on ne trouve pas le sommeil, on tourne dans son lit et on repousse son cycle. La barre des 20 heures ou des 21 heures ne veulent rien dire non plus. Les ados peuvent comprendre d’eux-mêmes leurs besoins de sommeil », explique l’experte. À ce sujet, la spécialiste du sommeil recourt à l’agenda de sommeil pour que les adolescents puissent se responsabiliser. Autrement dit, il s’agit de leur expliquer les conséquences du manque de sommeil tout en les obligeant à réfléchir sur leurs pratiques. L’adolescent sur une dizaine de jours prend en note ses heures de sommeil, ses heures de réveil et d’endormissement, ses réveils nocturnes et la qualité des réveils chaque matin. « L’idée est de mettre chaque élément en corrélation. C’est un bon outil de départ pour l’adolescent, les parents et le professionnel de santé si besoin, note Christine Cannard. Rappelons que c’est le réveil du matin qui conditionne l’endormissement. Et l’irrégularité peut nous coûter cher au niveau du sommeil. »

L’horloge interne, réglée comme une montre suisse ?

S’il est effectivement difficile de se coucher à une heure fixe, il est plus facile de se réveiller à la même heure. Pourquoi cette mécanique du sommeil ?  Notre horloge interne épouse l’horloge circadienne (horloge quotidienne qui conditionne notre capacité à se concentrer). Le fonctionnement de l’organisme est soumis à un rythme biologique, calé sur un cycle d’une journée de 24 heures. Ce rythme régule la plupart de nos fonctions biologiques et comportementales.

Sa dérégulation entraîne des troubles du sommeil et d’importantes perturbations physiologiques.

« Se coucher tard ou se lever à des horaires irréguliers peuvent dégrader l’horloge biologique », explique Christine Cannard. Il faut donc s’assurer que l’adolescent, quelles que soient ses mœurs, perturbe le moins possible son horloge biologique car de l’horloge circadienne dépendront les moments de la journée où l’adolescent est le plus concentré et le plus en forme. « Le manque de sommeil peut effectivement engendrer des difficultés sur les apprentissages complexes, certains mécanismes cognitifs et sur la capacité d’attention », explique la spécialiste du sommeil.

Points de vigilances pour les parents

Certains petits signes peuvent augurer d’un manque de sommeil à l’image des bâillements à outrance, des difficultés à se lever chez l’adolescent. Le plus délicat sera de déterminer si l’adolescent est en manque de sommeil ou si son sommeil demeure de mauvaise qualité.

« À chacun son besoin et à chacun son rythme de sommeil. L’important est de ne pas mettre à mal son sommeil. Et surtout d’en avoir une bonne image. Le sommeil est tellement mal perçu en France. Combien de fois peut-on entendre : « va au lit, tu es puni ! ». De nombreuses choses négatives sont alliées au sommeil. Et les parents nourrissent parfois la confusion entre l’image liée au sommeil parfois infantilisante et le besoin réel et vital de l’adolescent. Se coucher tôt ne signifie pas régresser et être considéré comme un bébé », précise Christine Renard.

Reste que la sieste, elle aussi décriée, reste un bon remède pour récupérer en cas de fatigue extrême et pour éviter toute dispute entre adolescents et parents. À ce sujet, des équipes de l’INSERM de Bordeaux ont travaillé en collaboration avec des navigateurs habitués à des épreuves en solitaire qui faisaient part d’hallucinations, de perte de mémoire voire d’excès de folie par manque de repos. Un apprentissage long pour réaliser des microsiestes avec des résultats probants, a été un grand pas pour la gestion de telles épreuves sportives.

« Digest »

Les cycles du sommeil

Que ce soit chez l’enfant, l’adolescent, l’adulte ou la personne âgée, on rencontre les mêmes stades de sommeil.

Ces stades sont répartis entre sommeil lent (ou sommeil calme chez le nouveau-né) et sommeil paradoxal. Le sommeil lent comporte les stades qui correspondent au sommeil léger et le stade qui est le sommeil profond. Le sommeil paradoxal (appelé aussi sommeil à mouvements oculaires rapides, ou REM en anglais) est également nommé sommeil agité chez le nouveau-né. C’est au cours de cette phase que se “logent” les rêves dont on se souvient le mieux. Le sommeil est constitué de plusieurs cycles successifs (4 à 6). Un cycle de sommeil dure environ 90 minutes chez le jeune adulte. Chaque cycle commence par du sommeil léger et se termine par du sommeil paradoxal. Le sommeil profond est surtout présent dans la première moitié de la nuit alors que les sommeils léger et paradoxal sont plus abondants en deuxième moitié de nuit. « C’est le sommeil paradoxal qui permet la récupération psychologique et qui concerne une partie des apprentissages complexes et la mémorisation des connaissances tout comme la régulation de l’humeur. Ces phases sont de plus en plus longues en fin de nuit. Le manque de sommeil paradoxal va poser des problèmes d’apprentissage car on ne peut pas parler d’apprentissage sans mémoire », ajoute Christine Cannard.

Geoffroy Framery

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