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Pour l’enfant et les parents, l’instant de « vérité » marque les vies. C’est du pur rituel d’initiation à l’« âge de raison », justement nommé. Le lui épargner ? Surtout pas. La croyance au Père Noël participe à la construction du réel.
Noël, ça se voit, ça se sent, ça s’illumine, ça se symbolise et ça se raconte. La figure tutélaire du Père Noël se mêle au merveilleux, aux cadeaux, aux lettres. Dans les foyers nantis, l’immense majorité des enfants y croient dur comme fer. C’est à eux que l’on confie le plateau-repas du père Noël, du lait au miel bien chaud et des petits sablés pour le vieil homme en rouge. Et des carottes fraîches pour les rennes, beaucoup, car ils sont, en principe, huit, voire neuf, les rennes du Père Noël. Éclair apporte la lumière, Cupidon, l’amour, Comète, le bonheur, Danseuse (oui, il y a aussi des « filles » parmi les rennes), la grâce, Tornade, la vitesse, Tonnerre, la force, Furie, la puissance, Fringante, la force, comme Tonnerre, mais aussi la beauté, en plus. Et le neuvième, pas des moindres, c’est le petit, le renne au nez rouge, celui qui guide la trajectoire du Père Noël grâce à son nez rouge lumineux. Les LED à côté, pffff…
Et ça… tout ça, ça fait longtemps que ça dure.
De Sol Invictus à Natalis, cosmogonie de Noël
Noël vient du latin natalis, « jour de naissance ». De Jésus pour la commémoration chrétienne. L’église célèbre Natalis versus Noël depuis le second siècle après… Jésus-Christ. Mais ce n’est qu’à partir du ive siècle, en 354, que Libère, pape romain, fixe la date du 25 décembre pour célébrer Natalis, toujours contre Noël. Il faut absolument que les fêtes païennes antérieures au christianisme disparaissent. Or ces fêtes célébraient le solstice d’hiver et le symbolisme de la lumière. La date du 25 décembre correspond bien à la fête de Sol Invictus, le Soleil invaincu, la promesse du jour qui s’allonge, événement très populaire lié au culte de Mithra, divinité solaire orientale, croyance rivale du christianisme. Bref, on mélange tout et l’on fait croire à tous les enfants que ces cadeaux, ce jour-là, sont apportés par un personnage éminemment sympathique, saint Nicolas néerlandais (Sinterklass), Father Christmas britannique, aussitôt traduit par Père Noël par les francophones, Santa Claus en Amérique du Nord (Sinterklaas néerlandais). Mais pourquoi donc ? À quel besoin apparemment majeur répond cette figure archétypale et fictive ?
L’es “père Noël”
Il était mille fois le père Noël, le bon Dieu, le lapin de Pâques, la petite souris des dents et les fées… Faut-il que l’enfant y croie ? Pour les explorateurs de la psyché, la croyance répond à un besoin vital. Voilà comment les psychologues l’analysent.
La perception du réel n’est pas une donnée initiale ni primitive, mais une construction progressive. Le bébé vit selon le principe de plaisir et non celui de réalité que ses parents assument et font fonctionner (heureusement) pour lui. Le principe de plaisir est prévalent et originaire de toute vie psychique. Le petit d’homme cherche avant tout la réalisation de son plaisir et de son désir. Comme sa vie dépend totalement de ses parents, il/elle est plongé/e dans l’illusion de sa toute-puissance magique. La toute-puissance de la pensée s’établit d’abord. Elle laissera place petit à petit et durant toute l’enfance et jusqu’à l’adolescence à la construction d’une place dans le psychisme pour la réalité. Le passage itératif par des rituels codifiés et sociaux jalonne d’étapes communes cette construction du principe de réalité. Le rituel du Père Noël en fait pleinement partie. Les mythes sont un mode de pensée collectif initiatique qui admet et donne une place au merveilleux. Ces mythes ne décrivent certes pas totalement la réalité, mais préservent la place du merveilleux, la circonscrit. Ils fonctionnent de façon limitée dans l’instauration du réel.
Le mythe partagé, socle du réel
Ces mythes partagés de manière intergénérationnelle mettent en place une fonction de remémoration commune à tous. Il est en effet souvent plus fondateur pour l’unité d’une culture (et donc pour la paix sociale) de se souvenir ensemble des événements mythiques plutôt que de se préoccuper de façon scientifique de points spécifiques de la réalité historique. Il était une fois, il était mille fois, le Père Noël, la petite souris et le lapin de Pâques : ils constituent le socle de l’humain banal et le contemporain partagé. C’est ce socle premier qui autorise l’apogée futur du fonctionnement, lui aussi partagé, du principe de réalité. Pour renoncer à la toute-puissance infantile, encore faut-il l’avoir vécue et partagée de manière collective et semblable, insérée dans un mythe commun.
Mensonge, songe et illusion
Bien sûr, le système de consommation s’est approprié le Père Noël pour en tirer le meilleur profit. On le chiffre, ce mythe : même si le budget moyen est en légère baisse cette année (549 euros en 2019 contre 571 en 2018), la part consacrée aux cadeaux, elle, augmente. Plus de 37 euros supplémentaires par rapport à l’année 2017.
Mais on le comprend, ce n’est pas le marché du jouet et des mets de fêtes qui expliquent pourquoi la croyance au Père Noël occupe une place de plus en plus importante dans nos civilisations occidentales. La plupart des familles se rendent complices ou plus exactement actrices du mythe, même si quelques irréductibles contestataires battent froid la chaleureuse illusion et refusent de « mentir » à leurs enfants sur l’origine des cadeaux. Mais s’agit-il de mensonge ? Ce type de « mensonge » ne se réduit souvent qu’à un songe, partagé et très humain, fait de générosité et finalement d’anonymat du donateur. C’est une illusion collective qui met en évidence le caractère adaptatif du mensonge au plan du développement cognitif de l’enfant : il lui donne le moyen d’inclure une propension finalement limitée à la fantaisie.
Moralité : le mythe perdure et pour cause. Alors, faut-il que vos enfants découvrent le plus tardivement possible que sa part de rêve se fond dans la réalité ?
Conserver une part de merveilleux
De toute façon, le schéma de sortie est connu de tous : la croyance au père Noël diminue avec l’âge au fur et à mesure que l’enfant maîtrise le raisonnement causal. La croyance s’éteint plus rapidement chez les petits garçons que chez les petites filles du même âge, et cet âge tourne autour de l’âge dit de raison c’est-à-dire entre sept et neuf ans. Huit ans, âge moyen, nous dit un sondage d’échelle internationale, Santa Survey.
Le psychologue britannique Chris Boyle a carrément posé la question qui tue : « Cette découverte a-t-elle altéré la confiance que tu voues à tes parents ? » Les réponses parlent : 15 % des répondants se sont sentis trahis par eux. Un tiers se sont dit contrariés en découvrant que le Père Noël n’était pas réel. 34 % auraient souhaité continuer à croire à la légende. 31 % des parents avouent avoir menti à leurs enfants qui leur posaient la question : « Mais si, je t’assure, le Père Noël existe. » Le principe de réalité se manifeste tout aussi souvent dans la cour des grands : bon nombre d’instits sont tombés (volontairement ?) dans le piège qui consiste en un petit devoir écrit : « Explique les sentiments ressentis lorsque tu as découvert que le Père Noël n’existait pas ! »
Mais le plus important est peut-être ce chiffre : 65 % des personnes interrogées « ont affirmé avoir prétendu croire au père Noël alors qu’elles savaient que c’était un mensonge ».
La vraie date de péremption du père Noël varie plutôt de 7 à 77 ans selon que l’on a su ou pas garder vivante et pétillante son âme d’enfant. Durant toute l’enfance et même après, chez les artistes et les personnalités créatives, les capacités symboliques fonctionnent à plein régime et la pensée magique (tenue à sa place et vécue comme telle) continue à régner en maîtresse à la marge et en frontière entre le fantastique, le merveilleux et le réel. C’est un espace de vie et de bonheur que cet espace de pensée. Le succès en littérature d’un Haruki Murakami, pape nippon du réalisme magique, n’est pas étranger à cette quête de 4e dimension. Au fond, Santa Claus incarne l’amour des parents pour les enfants. Il incarne la magie de la vie.
Bibliographie : Verba Mina. Le réel, le « surréel » et le surnaturel chez l’enfant à propos de la croyance au Père Noël. In : Enfance, n° 2, 1996. Hommages à René Zazzo. pp. 270-279.
Pour le jour où il vous faudra tout expliquer…
Au-delà de la croyance déçue, peut-être vous faudra-t-il donner des explications, d’où vient donc ce « songe », depuis si longtemps dans la conscience humaine. Voilà les repères historico-mythologiques.
Les croyances astrologiques et les observations astronomiques entrent également en ligne de compte pour le choix de la date fixée du 25 décembre, Noël. Le solstice d’hiver à la date du 21 décembre marque le jour le plus court de l’année, c’est un premier point. Mais, de plus, dans le ciel d’hiver, trois jours après le solstice, se produit un autre phénomène cosmique : celui de l’apparition de la constellation de la Vierge, le 25 décembre à minuit à l’horizon. Cette apparition renforce symboliquement la nativité de la Vierge Marie sous la protection cosmique de la constellation de « sa » constellation. Que les non chrétien/nes se rassurent, cette « vierge » n’est pas apparue avec le dogme : dans les civilisations premières du Tigre et de l’Euphrate, antérieures de plus de 4 000 ans à la « naissance du Christ », Sumériens comme Assyriens, Babyloniens et Akkadiens avaient dédié leur déesse « vierge » Inanna-Ishtar à cette constellation.
Dans la nuit des temps
Renforcement symbolique complémentaire, le Soleil entre alors dans la constellation du Capricorne, symbole des monts et des grottes, sachant que l’enfant virginal et divin serait né dans une crèche située à l’intérieur d’une grotte : le scénario symbolique est parfait. L’origine de la célébration ritualisée de la grotte, avec ses petits santons si précieux en terre provençale, sera plus tardive – on l’attribue à saint François d’Assise auquel le pape en 1223 aurait donné la permission de célébrer la crèche durant la messe de minuit, avec ses animaux domestiques.
Les Pères Noël : figures du père ?
Noël, c’est la fête de l’enfant en nous, quel que soit notre âge. Le Père Noël, comme les rois mages, comme le père Janvier, comme Saint Nicolas, comme le Père Gel et comme la Babouchka, comme saint Martin et comme la Befana, comme Christkindel, est un donateur. Toutes ces figures plutôt masculines et paternelles, exceptionnellement quelques figures de vieilles femmes, représentent et parfois incarnent le don gratuit et sans retour possible. Originaux, rivaux ou précurseurs les uns par rapport aux autres, ils incarnent tous magiquement ce que donner veut dire, d’attente, de joie, de plaisir et d’amour. Ce sont des êtres mythiques les plus connus les plus attendus et aussi les plus anonymes.
Avatars
Le Père Noël serait né en Allemagne du Nord, d’abord simple valet de saint Nicolas sous le nom de Knecht Ruprecht, valet Ruprecht, au xvie siècle. Son succès fut grand en Alsace et en Lorraine où il faisait rude concurrence à saint Nicolas. Sans détrôner la tradition des rois mages en Espagne, le père Noël s’est exporté au xixe siècle avec succès aux États-Unis sous le nom de Father Christmas par l’intermédiaire des émigrés allemands. Même si Coca Cola l’a rhabillé en rouge, il était dit-on à l’origine vêtu de vert, comme les lutins d’ailleurs.
Le père Janvier, vraisemblablement issu de la Révolution française et de sa réactivité religieuse, comblait les enfants de cadeaux, non pas à Noël, fête religieuse, mais dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Présents aux enfants qu’il distribuait lui aussi bien sûr en passant au-dessus des maisons. Sans oublier son triste compère le père Fouettard dont il ne savait se départir. Le Morvan et la Bourgogne étaient friands de ce duo contrasté jusque dans les années 1930.
Grand-Père Givre ou le Père Gel, Ded Moroz
C’est un avatar puissant du Père Noël qui a survécu au régime communiste… Les petits enfants russes attendent sa venue le soir du Nouvel An car la tradition orthodoxe indique que la nativité se célèbre en janvier, autour du 7. Contrairement au Père Noël, ses dotations ne sont pas individuelles mais déposées au pied de l’arbre de la nouvelle année dans les parcs publics à des groupes. Il est accompagné par sa fille Snegourotchka, appelée petite fée des neiges. Tous deux sont vêtus de bleu et de blanc et portent de riches ornements argentés. Grand-Père Givre détient une longue canne magique et se déplace dans une troïka de chevaux, accompagné ou non de loups obéissants. Dans les légendes plus précoces il pouvait apparaître comme un sorcier cruel, dieu du vent, roi souterrain régnant sur les froids glaciaux, capable de congeler les enfants en otage contre cadeaux. Son humeur glaciale s’est adoucie au fil du temps sous l’influence certaine du Sinterklaas néerlandais, ancêtre de Santa Claus. Depuis le déclin de l’ère stalinienne, d’ailleurs, il a fini par descendre, lui aussi, par les cheminées… comme la plupart de ses confrères contemporains. Il est maintenant aidé par une petite grand-mère Babouchka. Selon la tradition populaire ancestrale, incapable de suivre les rois mages, elle se rachète en déposant elle aussi des jouets aux enfants sages.
Saint Nicolas monté sur son âne survole, lui, les toits des villes et villages depuis le xiie siècle. C’est dans la nuit du 5 au 6 décembre qu’il remplit les souliers des enfants sages durant leur sommeil. Cette tradition concerne le nord et l’est de la France, la Belgique, les Pays Bas, certains lands allemands et l’Autriche. Saint Nicolas était un évêque de Myre au ive siècle. Durant les persécutions des premiers chrétiens, il fut célébré pour avoir distribué sa fortune aux pauvres… Donateur magique ?
Saint Martin, jeune chrétien converti, transfuge de l’armée romaine, ce jeune homme, par une nuit particulièrement froide, coupe de son épée son large manteau en deux pour en couvrir un pauvre. Évangéliste de la Gaule, il devint ainsi très populaire au Moyen Âge. La tradition le montre, tous les 11 novembre, jour de la saint Martin, apporter en récompense des fruits confits aux enfants sages et en punition de petites crottes d’âne aux désobéissants. Cette tradition se perpétue en Belgique, en Hollande, en Allemagne et en Autriche.
Les rois mages et la Befana, sont des traditions héritées de l’Épiphanie.
La Befana sévit en Italie dans la nuit du 5 janvier : mannequin de paille en haillons, sorcière effrayante mais généreuse, elle distribue, à califourchon sur son balai, les cadeaux attendus par les petits Italiens.
Les rois mages célèbrent l’Épiphanie, très liés symboliquement à la naissance de l’enfant Jésus qu’ils viennent adorer quelques jours après. Ce sont de merveilleux donateurs et de merveilleux voyageurs puisqu’il leur aura fallu parcourir le chemin qui les séparait de la crèche, guidés par l’« étoile ». L’adoration des mages est pour l’Église chrétienne orientale plus importante que Noël. Ce n’est qu’au xie siècle que ces sages ou ces mages sont représentés couronnés, donc royaux. Ils représentent les âges de la vie. Le plus jeune des trois « rois », Gaspard, est un jeune homme imberbe, il offre la corne d’abondance emplie d’encens (l’enfant est Dieu). Balthazar représente la maturité et arbore une belle barbe noire. Il offre la myrrhe dans un ciboire (l’enfant est un parmi les mortels, la myrrhe symbole de ce que toute vie endure de douleur). Melchior se présente sous les traits d’un vieillard chauve et chenu à la longue barbe blanche et son offrande est l’or (l’enfant est roi).
Figure féminine parmi les avatars masculins du donateur hivernal : Christkindel. Inspirée par sainte Lucie, Christkindel est cette ravissante jeune fille aux longs cheveux et aux ailes d’ange, vêtue de blanc et couronnée d’un diadème de sapin orné de petites bougies blanches, tradition allemande jusqu’en Alsace. Lucie (lux), c’est la lumière. Christkindel, sa lumineuse héritière, passait, portée seulement par ses ailes blanches, déposer avec délicatesse et par la cheminée les cadeaux destinés aux petits enfants de confession protestante le soir de Noël. C’est une tradition alsacienne pleine de poésie… et de féminité.
Et le sapin dans tout ça ?
Mon beau sapin, roi des forêts… de ma maison en décembre, tu dérives, de fil en aiguille, des traditions païennes. Ainsi le bel arbre de Noël s’adapte lui aussi à la tradition chrétienne. Toujours vert en quelque saison que ce soit, il symbolise l’immortalité. La tradition du sapin de Noël s’est développée outre-Rhin à partir du xve siècle, se répand partout en Allemagne dès le xvie siècle. Son apparition en France, nous la devons à l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. De même, le prince Albert et la reine Victoria ont adopté le sapin de lumières qui fit ainsi son entrée royale dans les salons de Buckingham. Les Alsaciens et les Lorrains réfugiés à Paris après la guerre de 1870 ont également participé à la généralisation en France de l’usage décoratif du sapin pour les fêtes de Noël. Les premières boules qui ont décoré le sapin de Noël ont été des friandises : les pommes d’amour… rouges comme la houppelande du père Noël. La bûche de Noël, avant d’être gâteau, était la vraie bûche en bois que l’on faisait brûler dans la cheminée tout au long de la veillée de Noël.
Catherine Dunezat, psychologue clinicienne