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A l’occasion de ses 20 ans, l’Institut Jérôme Lejeune a ouvert ses portes à Parenthèse.
Créé et financé depuis 1997 par la Fondation Jérôme Lejeune, l’institut s’inscrit dans la continuité du travail du professeur Lejeune qui a découvert en 1959 la trisomie 21. L’institut a trois missions : soigner, chercher et former. Si 80% des 9 000 patients suivis en consultation sont touchés la trisomie 21, l’Institut propose aussi une consultation médicale globale à toutes les personnes porteuses d’une déficience intellectuelle d’origine génétique. Ici, les patients sont pris en charge par une équipe pluridisciplinaire dès leur petite enfance et jusqu’à la fin de leur vie.
Une approche individuelle et très humaine
« C’est la deuxième fois que je viens ici. J’ai été dirigée par Les Papillons blancs, un regroupement de parents de personnes handicapées qui vient en aide aux familles. A cinq ans, on a posé un faux diagnostic à ma fille. Aujourd’hui, elle a 20 ans et souffre d’un grand handicap mais on ne connait pas son origine. J’espère que l’Institut Lejeune pourra nous éclairer mieux sur son état de santé et donner enfin un bon diagnostic », explique une mère installée dans la salle d’attente. Nouvelle dans cet établissement, elle affirme être déjà impressionnée par la prise en charge des patients. « C’est une merveille. Je n’ai jamais eu un accueil similaire en France. Ce qui change, c’est la façon dont les professionnelles écoutent, donnent des réponses et conseils et surtout, j’apprécie leur façon d’aborder ma fille. C’est très humain ! », s’exclame-t-elle.
« Je reste attaché à la médecine qui est basée sur une relation personnelle entre un patient et un médecin », explique le docteur Aimé Ravel, pédiatre en Génétique Médicale, chef de service de la Consultation et l’un des fondateurs de l’institut. Comme autre fois le faisaient ses collègues, il préfère prendre le temps avec son patient. « La déficience intellectuelle rend anxieux, le patient a peur des médecins et des examens médicaux. Nos consultations durent donc une heure, ce qui permet non seulement de bien interroger les parents mais aussi le patient. Le temps de discussion rassure tout le monde, surtout le patient. Il est possible ensuite de l’examiner tranquillement ». « Notre enjeu, c’est de faire de la médecine préventive. Nous proposons aux enfants une visite tous les six mois jusqu’à 3-4 ans. Pour les adultes, une fois par un. Notre but : donner un maximum de chances aux patients. On guide et conseille aussi les parents, les éducateurs et les médecins traitants. On doit tout faire pour que l’enfant ait l’éducation, la rééducation et la vie familiale la plus harmonieuse pour qu’il s’épanouisse au mieux. Nous dépistons également à tout âge toutes les causes de régression », précise celui qui fut l’interne de Jérôme Lejeune.
Aujourd’hui, même si on peut détecter la trisomie 21 avant que l’enfant soit né, certains parents ne sont pas au courant de la maladie. En effet, ils ne souhaitent pas faire le dépistage durant la grossesse. « 90% des patients qui viennent ici ont déjà un diagnostic de fait. Mais pour les 10% autres, l’annonce du diagnostic est délicate. Le plus souvent, ça libère les parents (…) ils se disent que ce n’est pas de leur faute », précise Dr. Aimé Ravel, ajoutant en même temps que « ceux qui ont un diagnostic n’ont pas une représentation complète de la maladie ». Aux médecins donc de leur expliquer à quoi doivent-ils s’attendre. En outre, ils doivent leur parler des maladies qui touchent le corps de leurs enfants et que celles-ci peuvent être soignées.
« On sait comment la trisomie 21 va influencer le développement du langage. On peut donc le prévenir avant et essayer de limiter l’impact », explique Thérèse Reichert, l’orthophoniste de l’Institut, qui reçoit les personnes de tous les âges, même les bébés. Elle donne des conseils et des exercices à faire aux patients. « On voit souvent que des enfants qu’on a vus tôt, parlent mieux, ils ont la bouche moins ouverte, des meilleures postures du visage », précise la jeune femme.
Les avancés de la recherche en 20 ans
L’Institut est également engagé dans de nombreux programmes de recherche pour mieux comprendre les maladies, les handicaps associés et chercher de nouveaux traitements. En 20 ans, 170 projets ont été financés. Il faut noter qu’il n’y a pas d’autres centres en France où on développe des recherches à visées thérapeutiques. Les prélèvements sanguins des patients viennent enrichir la banque du laboratoire de l’Institut, qui est au cœur du renouveau de la recherche internationale sur les maladies de l’intelligence d’origine génétique. L’Institut a donc de nombreux partenariats avec des Instituts et chercheurs étrangers du monde entier. Ces derniers peuvent venir à l’Institut apprendre de nouvelles choses, partager leur expertise, proposer des essais cliniques et ainsi faire avancer la recherche.
« En 20 ans, on a appris beaucoup de choses. On peut disséquer toutes les complications qui sont autour de la trisomie 21 et qui peuvent aggraver le handicap mental : problèmes de thyroïde, douleurs orthopédiques, problèmes respiratoires, épilepsie, etc. Aujourd’hui, on les connait mieux et on peut les soigner », précise la généticienne, Clotilde Mircher. « Autre chose que nous avons découvert en 20 ans est le traitement de l’apnée du sommeil. On sait aujourd’hui que les petits bébés font aussi de l’apnée du sommeil. En partenariat avec l’hôpital Necker, nous faisons un programme de dépistage systématique dès l’âge de six mois de cette maladie qui se manifeste par des arrêts de la respiration durant le sommeil », précise la spécialiste. En outre, l’Institut est sur le point d’avoir des résultats d’une étude qu’il mène depuis six ans. Il s’agit d’une recherche « à partir de l’acide folinique et de l’hormone thyroïdienne, des médicaments qui sont déjà sur le marché », déclare le docteur Clotilde Mircher. « On pense qu’ils pourraient être utilisés pour le développement moteur et psychomoteur des enfants trisomiques. 175 patients ont participé à ce protocole ».
Mais « l’évolution la plus spectaculaire, c’est l’augmentation de l’espérance de vie », note le docteur Aimé Ravel, précisant que « les trisomiques français ont pris 30 ans d’espérance de vie ». De ce fait, il y a au sein de l’Institut une gériatre qui s’occupe des personnes âgées. « La consultation est concentrée sur la polypathologie et l’Alzheimer. Cette maladie est très présente chez les porteurs de la trisomie 21. On peut avoir des premiers signes dès 50 ans », explique le docteur Anne-Sophie Rebillat. La spécialiste note également qu’il est important de se poser la question de l’avenir de son enfant très tôt. C’est-à-dire, « que deviendra-t-il une fois que je ne serais plus là ? » Si on n’anticipe pas son futur, cela pourrait créer des situations dramatiques.
« Vous pouvez dire que vous aimez soigner les déficients intellectuels parce qu’à côté d’eux, vous vous sentez très intelligent, vous aimez que les parents vous disent que vous êtes le meilleur, etc. Moi, je ne me suis jamais posé toutes ces questions. (…) Je suis issu d’une famille de militaire et le principe de base d’un militaire est de défendre ceux qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes », explique le docteur Aimé Ravel, qui suit cette philosophie dans son travail.
Anna Ashkova