Solidarités International : la lutte contre le drame du Yémen

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Comme de nombreuses autres ONG, Solidarités International intervient dans ce pays qui est devenu le lieu de la pire crise humanitaire au monde.

Anna Ashkova

Engagées depuis près de 40 ans maintenant en faveur d’une eau potable pour tous, les équipes de Solidarités International (SI) se battent pour accéder et porter secours aux personnes dont la santé et la vie sont menacées par les guerres, les catastrophes naturelles et les épidémies. Une aide apportée en mains propres et qui répond aux besoins vitaux des plus fragiles : boire, manger, s’abriter. Ainsi, l’association humanitaire intervient au Yémen qui, depuis quatre ans, est déchiré par une guerre entre le mouvement Houthi et le gouvernement internationalement reconnu de Hadi, soutenu par la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite. Ce conflit d’une violence rare touche particulièrement les civils avec un bilan de 16 432 victimes, dont 10 047 morts et 6 385 blessés entre le 26 mars 2015 et le 10 mai 2018 (HCDH). 75 % de la population a désormais besoin d’aide humanitaire.

L’ampleur du désastre est phénoménale

« La situation avant le conflit n’était déjà pas brillante, surtout dans le sud du pays – moins développé – et dans les zones rurales, sans toutefois être catastrophique. Les années de conflit ont contribué à l’attrition des infrastructures », explique Philippe Bonnet, directeur Pays au Yémen auprès de SI. Et de poursuivre : « D’une part, dans certaines zones où les combats ont eu lieu, les infrastructures ont été détruites par les bombardements (imputables aux deux camps) et les combats. Les combattants n’ont pas hésité à utiliser certaines de ces infrastructures à des fins militaires. Les systèmes de distribution d’eau potable ont été particulièrement touchés, de même que les structures de santé et les écoles, par exemple. D’autre part, les ressources dont dispose l’État (on devrait dire les États) sont principalement allouées à l’effort de guerre au détriment de l’entretien, de la maintenance, voire de la couverture des coûts de fonctionnement des infrastructures. Cette attrition des infrastructures ne touche donc pas que les zones de combats mais l’ensemble du pays. Enfin, le fonctionnement de ces infrastructures repose toujours sur des systèmes de production d’énergie thermique, nécessitant du carburant dont le coût ne cesse d’augmenter. »

« Aujourd’hui, le fonctionnement des infrastructures dépend largement de l’apport des ONG, dont Solidarités International. Une des stratégies mises en œuvre par SI est notamment le remplacement des moteurs thermiques par des systèmes de pompage solaire. » Le système public de santé est également sévèrement affecté par le conflit, selon Philippe Bonnet. Les raisons de ces endommagements sont les suivants : destruction des infrastructures, personnels non payés, médicaments et équipements indisponibles. Une situation tragique quand on sait qu’on suspecte un million de cas de choléra. « Beaucoup des centres de santé et hôpitaux ne fonctionnent aujourd’hui plus que grâce au soutien des ONG, affirme Philippe Bonnet. Dans les grandes villes, le secteur privé de la santé reste plus ou moins fonctionnel, mais beaucoup de ménages ne peuvent y accéder faute de moyens. Les zones rurales et les zones moins accessibles connaissent certainement les situations les plus critiques, notamment parce que beaucoup d’ONG sont frileuses à accéder à ces zones où l’assistance est certainement plus coûteuse avec des populations éparpillées dans des zones géographiques importantes. »

La menace de la famine

En outre, 5 millions d’enfants sont menacés par la famine dont 400 000 de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë sévère. 17,8 millions de personnes (61 % de la population) sont en situation d’insécurité alimentaire dont 8,4 millions en situation d’insécurité alimentaire grave. Même si la nourriture est bien souvent disponible, parfois produite localement (le plus souvent importée), les ménages modestes (et ils sont de plus en plus nombreux) ont de plus en plus de difficultés à acheter la nourriture indispensable à la couverture leurs besoins alimentaires de base. Les ONG, dont SI, s’attachent donc à identifier les familles les plus vulnérables pour leur apporter une assistance alimentaire, soit par des distributions de nourriture, soit en leur apportant un soutien financier. « Avec la guerre, la fébrile économie du Yémen s’est écroulée et l’approvisionnement en nourriture dépend désormais de plus en plus des importations de produits alimentaires. Avec une inflation galopante, la montée des prix du carburant, les prix des denrées alimentaires – importées ou non – s’envolent et la situation s’aggrave : de moins en moins de familles peuvent couvrir leurs besoins alimentaires, ce qui est très inquiétant. Les ONG ne pourront probablement pas couvrir l’intégralité des besoins », regrette Philippe Bonnet.

Des séquelles ne s’effaceront probablement jamais

Il ne faut pas oublier la situation des déplacés. Ils sont trois millions dans le pays est leur accès aux soins est plus qu’incertain. « SI essaye de toucher ces populations en appuyant les centres de santé (sur les volets EHA, c’est-à-dire eau, hygiène, assainissement) dans les zones rurales mais lever des fonds pour ces activités qui sont moins sous le feu des projecteurs car non liées directement aux combats est difficile », explique Philippe Bonnet. In fine, la situation des enfants est plus que catastrophique. D’après l’Unicef, plus de 5 000 enfants ont été tués ou blessés, sans parler du fait qu’ils ne sont pas scolarisés. Pour Philippe Bonnet, « on peut très certainement parler de génération sacrifiée ». « Il est difficile aujourd’hui, alors que la situation s’aggrave, d’entrevoir une amélioration, ajoute-t-il. L’amélioration de la situation humanitaire repose évidemment sur un règlement du conflit, mais ces considérations politiques, voire géopolitiques, ne rentrent pas dans notre mandat. En revanche, il est facile d’estimer que même si le conflit s’arrêtait, il faudrait des années pour revenir à la situation qui prévalait avant la crise et certaines séquelles ne s’effaceront probablement jamais. »

Au Yémen, l’association apporte en premier lieu une assistance d’urgence aux populations directement affectés par les combats : les personnes fuyant la guerre et les populations qui les accueillent. « Cette assistance est le plus souvent apportée au plus près de la ligne de front et il s’agira alors de fournir de l’eau potable, des latrines, des articles essentiels à leur survie et des abris d’urgence. Il s’agit de répondre aux besoins vitaux de ces populations le plus rapidement possible », raconte Philippe Bonnet. Un deuxième volet est développé dans les zones plus stables, en arrière de la ligne de front. « Il s’agira, cette fois-ci, d’apporter un soutien aux populations locales, aux retournés, voire à des déplacés (stabilisés) en rétablissant le fonctionnement des infrastructures d’approvisionnement en eau ou d’autres infrastructures communautaires vitales, en aidant les ménages à construire des latrines familiales, et en apportant un soutien financier permettant aux plus vulnérables d’acheter de la nourriture. » Enfin un troisième volet est destiné à apporter une réponse plus durable à la crise : relance agricole, soutient financier visant des objectifs non exclusivement alimentaires, développement d’infrastructures ne dépendant pas de l’approvisionnement en carburant (systèmes solaires, par exemple mais aussi systèmes de désalinisation), etc.

Un pays sous perfusion humanitaire

Au Yémen, les besoins sont partout, tout le temps. Saara Bouhouche, chef de mission de l’équipe d’urgence chez SI, a passé du temps au Yémen ces derniers mois. « Mon rôle en tant que directrice Pays Urgence a été d’évaluer les besoins et la pertinence technique de SI dans un contexte comme le Yémen, puis d’ouvrir notre mission dans le pays et lancer des programmes humanitaires de qualité et adaptés localement. Avec son équipe, Saara Bouhouche a travaillé longuement pour mettre au point une stratégie d’intervention tout en incluant à chaque étape les bénéficiaires dans le processus d’élaboration des programmes. Mais le travail sur le terrain n’est jamais simple surtout dans le contexte actuel du pays. En effet, les fortes contraintes sécuritaires sont parfois une limite et les équipes de l’association travaillent bien souvent dans des conditions difficiles mais cela rentre dans le mandat de SI et de son objectif d’être au plus près des personnes les plus affectées par le conflit. Et Saara Bouhouche a fait connaissance de ces personnes-là.

« Pendant mon séjour j’ai rencontré des familles et des enfants déplacés à cause de la guerre, vivant sous des arbres dans des zones désertiques, sans rien à manger et dont le point d’eau le plus proche était à plus d’une heure a pied. Et l’eau n’est même pas potable. Voir le désespoir mêlé à la dignité dans le regard de ces personnes ça provoque un sentiment indescriptible. Tout comme de voir ces bébés sévèrement malnutris ou atteint de choléra. Parfois même atteints des deux à la fois », explique Saara Bouhouche. « Le Yémen est un pays incroyable et le peuple yémenite possède une force qui me fascine. Le peuple yéménite vit un calvaire, une horreur au quotidien. Entre les effets de la guerre et la violence qui en découle, la faim qui touche tout le pays et le choléra qui a affecté plus d’un million de personnes – l’épidémie la plus grave depuis des décennies – on penserait que la population aurait baissé les bras. Or ils continuent de se battre tant bien que mal et avec le peu de force qui leur reste. Bien avant le début de la guerre, le pays était déjà le pays le plus pauvre du Moyen-Orient et survivait déjà difficilement », explique celle qui a vécu au Yémen avant la guerre.

« C’est une population pleine de chaleur, d’humanité et de dignité. Pourtant, elle est à bout. Les communautés que j’ai rencontrées sont meurtries, épuisées par cette guerre sans nom. SI a multiplié ses zones d’interventions et ses programmes dans le pays depuis l’ouverture de notre mission afin de couvrir plus de populations et ce grâce notamment aux dons, mais nous avons besoin de plus de soutien pour atteindre plus de communautés en souffrance », explique-t-elle. « Les familles sont déplacées d’un endroit à un autre, fuyant la violence, la faim, la soif et la maladie. Les parents n’ont plus de quoi se nourrir ni nourrir leurs enfants. Dans certaines zones, la population se nourrit de feuilles car elle n’a rien d’autre pour se nourrir ! Comment ne pas être révolté ? », se demande-t-elle, ajoutant que « c’est une population qui crie, et il serait temps que la communauté internationale l’entende ! ».

« Le système public ne fonctionne pas, et l’économie s’est effondrée depuis le début de la guerre et empire actuellement avec une dévaluation de la monnaie locale de près de deux tiers. Le Yémen est sous perfusion humanitaire. Cette aide est aujourd’hui plus que jamais ce qui permet d’éviter à une population entière de tomber dans la famine. Mais pour combien de temps encore ? Les efforts diplomatiques entre les parties doivent reprendre et la communauté internationale doit s’investir sérieusement pour mettre fin à cette guerre et à cette violence qui touche la vie de dizaines de millions de personnes », poursuit Saara Bouhouche. Selon elle, « les pays de la communauté internationale ont un devoir, celui de s’investir sérieusement dans les efforts de diplomatie pour amener les parties prenantes à engager un processus qui mettra définitivement fin à cette guerre ».

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