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Votre ado émet le souhait de devenir boulanger ou encore comédien ? Voilà des professions qui vous semblent soit trop éloignées de votre « référentiel culturel », soit incapables de garantir à ceux qui les pratiquent un emploi. Vous préférez l’orienter vers des filières dites classiques pour qu’il s’assure un avenir. Mais faites-vous le bon choix ? Vouloir border le futur de votre enfant de la sorte sans lui laisser la possibilité d’exprimer et de tester ses envies, cela ne revient-il pas à le « castrer » symboliquement ? Quel adulte se profile en filigrane ?
Une pression sociale et parentale plus forte que les rêves des ados
Ne pas s’appesantir sur les rêves de son ado et plutôt tenter de le convaincre d’envisager une voie classique, noble et rassurante, pourrait bien être une spécificité nationale. Le rôle des parents, rongés par l’inquiétude, n’est pas sans incidence : ils privilégient les filières généralistes ou longues qui mènent aux professions « reconnues ». Des formations qui « ne laisseront pas leurs enfants sur le bas-côté », fait remarquer le directeur de la Maison de l’Orientation, Gérard Roudaut. « Les élèves ont eux aussi intériorisé ce raisonnement », précise-t-il. Ensuite, la France reste un pays où devenir médecin est plus prestigieux que boulanger ou charpentier. « C’est un mal français hérité du Siècle des Lumières qui établit une hiérarchie entre les métiers et les filières qui y mènent. Les professions intellectuelles arrivent en première position, suivent les emplois créatifs puis manuels. Et nombre de parents pensent que si leurs enfants font des études qui leur permettront de faire ces métiers intellectuellement reconnus, auréolés d’un prestige certain, comme magiques, ils seront heureux. Alors que c’est faux… », commente Maryse Vaillant, psychologue clinicienne.
Ces mêmes parents ont alors des enfants dont ils peuvent être fiers selon le modèle français, qui complaisent à leur idéal social. Mais que, dans ce contexte, ils ont aussi du mal à écouter…
L’exemple Danois en « contre-exemple »
A certains égards, les jeunes Français peuvent se sentir coincés (crise économique et sociétale, projections parentales…). Il ont surtout du mal à se projeter. Selon une étude comparative intitulée « Les jeunesses face à leur avenir », publiée par la Fondation pour l’innovation politique et réalisée par l’institut suédois Kairos Future, ceux-ci, inquiétés par le chômage et invités à intégrer un système scolaire relativement rigide (qui ne laisse pas grande place à l’expérimentation et à l’hésitation) et cependant jugé déterminant, ne sont que 26% à estimer leur avenir prometteur ! Un pourcentage bien faible en comparaison de celui obtenu par les Danois qui, particulièrement soutenus durant leurs études, encouragés à explorer leurs désirs et à multiplier les expériences, se disent confiants dans l’avenir, certains de trouver un bon travail (60%). Un écart alarmant qui dit la difficulté des jeunes Français à rêver leur vie, une élaboration pourtant nécessaire à leur progression vers le monde adulte.
Ecouter le désir de son ado
Alors quelle attitude adopter avec son ado ? Quelle latitude lui laisser ? Comment l’appuyer dans son orientation, l’aider à trouver sa place ? Postulat de départ : « Un enfant est heureux lorsqu’il est lui-même et lorsqu’il se réalise dans un métier qu’il aime, pas lorsqu’il fait plaisir à ses parents », estime Maryse Vaillant. Aussi, respecter, écouter ses projets est absolument crucial, il en va de son épanouissement. Savoir écouter ses rêves également (« Je veux être chanteuse », « Je serai joueur de foot ») pour entendre ce qui se dit en filigrane : le désir d’exister, d’être reconnu, d’avoir du succès… L’adolescent se sent alors pris en considération, regardé comme « une vraie personne et pas simplement une carte de visite ». Agir de la sorte, c’est lui reconnaître une existence propre, autonome, un acte essentiel pour qu’il se saisisse de lui-même et commence à dérouler sa vie. A défaut, en suivant le désir parental ou en faisant le choix d’un cursus consensuel, il prend le risque de passer à côté de lui-même, de ses aspirations profondes qu’il n’aura pas éprouvées dans la réalité, comme une partie de lui-même non visitée, laissée en friche.
L’accompagner dans ses projets
Le rôle des parents est ici déterminant, nécessairement « proactif », fait remarquer Gérard Roudaut. « Ils doivent être capables d’accompagner leur ado dans sa recherche », renchérit Maryse Vaillant. D’abord, en lui faisant découvrir le milieu professionnel qu’il ambitionne de rejoindre (la boulangerie, le cirque…) pour qu’il le perçoive dans son quotidien. Ensuite, en lui demandant de faire toutes les démarches nécessaires. Il devra rassembler par lui-même toutes les informations pratiques (formations pré-requises et existantes, compétences attendues, etc) pour intégrer la filière convoitée. « Son énergie, son investissement, ce qu’il va mettre en œuvre ou pas, sa capacité à se contraindre aussi, à suivre des cours complémentaires si nécessaire, donneront la mesure de sa motivation réelle. Il faut que l’enfant puisse estimer par lui-même la distance qui le sépare de son rêve », souligne notre interlocutrice. A l’opposé, ceux qui n’auront jamais pu se confronter à leur rêve, le garderont toute leur vie… à l’état de rêve.
Le pendant de cette recherche active, volontaire est « la disponibilité et la tolérance des parents » qui devront pouvoir entendre que leur ado s’est trompé d’orientation. Cette confiance l’aidera à se repositionner. « S’orienter, c’est comme naviguer en mer », résume d’une métaphore Gérard Roudaut. Autrement dit, une bonne orientation demande de suivre fermement un cap qui corresponde à ses aspirations profondes, centres d’intérêt en comprenant ses éventuelles erreurs de pilotage et points faibles et en apprenant à croire en soi.
Des adultes à côté d’eux-mêmes
Et à l’âge adulte ? Que deviennent ceux et celles qui n’ont pas été écoutés ? Des ados contrariés dans leur désir ne ressortiront pas nécessairement anéantis. Simplement, ils auront « perdu du temps », souligne Gérard Roudaut. Ils auront accumulé quantité de connaissances et de cursus dont, au final, ils ne se serviront probablement pas, se tournant, ultérieurement, vers leur domaine de prédilection. Mais certains ne s’en remettront pas aussi facilement. « Peut-être les plus dociles, les bons élèves, ceux qui ne font pas parler d’eux, qui réussissent à se couler remarquablement dans le désir parental », indique Maryse Vaillant. Jusqu’à l’accident de parcours : un licenciement, une rupture… Les voilà qui s’effondrent, incapables d’avoir recours à des mécanismes de défense qu’ils n’auront pas mis en place à l’adolescence. C’est, en effet, le bénéfice premier de cette période exploratoire qui passe par des confrontations répétées avec les parents, des erreurs d’aiguillage et des périodes de deuil (de projets fantasmés, irréalistes) : apprendre à (se) faire face et à rebondir. Ceux qui n’auront pas pu faire cet apprentissage se retrouvent démunis face aux épreuves de la vie. Eternels mécontents ou dépressifs chroniques quand ils ne deviennent pas amorphes, ils vivent à côté d’eux-mêmes, incapables de savoir où se situe leur désir qu’ils n’ont pas pu approcher.
Parents : les bonnes questions à se poser.
-Il s’agit, en premier lieu, de s’interroger, en toute honnêteté, sur les raisons véritables de l’orientation scolaire de votre ado. Visez-vous son simple épanouissement ? Ou bien votre propre satisfaction ? Celle de voir votre enfant suivre la voie que vous auriez aimé emprunter ou encore embrasser une profession prestigieuse ?
-Quelles sont les aptitudes, les dons objectifs de votre enfant ? Il se montre particulièrement sociable ? Adroit de ses mains ? Méthodique ? Physique ? Sensible ? Imaginatif ? Cérébral ? Prenez le temps de l’observer, de considérer ses centres d’intérêts, ce qu’il aime faire et ce qu’il fait bien. Pour affiner votre observation, ne vous arrêtez pas aux résultats scolaires qui ne traduiront que quelques aptitudes. Voyez plus large : regardez-le évoluer au quotidien et valorisez ses talents quels qu’ils soient.
-Interrogez-vous sur les « bonnes » filières qui pourraient lui correspondre, montrez-vous exigeant mais aussi souple dans votre recherche qui pourra déboucher sur des formations alternatives.
Des interlocuteurs pour vous aider à réfléchir.
–Le professeur principal joue un rôle pivot : il est investi d’une responsabilité particulière dans l’information, le suivi et la préparation de l’orientation des élèves, en relation avec le conseiller d’orientation. Outre le fait qu’il conseille chaque jeune sur la voie de formation qui lui semble la plus adaptée en fonction de ses résultats, capacités et motivations, il est aussi un interlocuteur clef. N’hésitez pas à le rencontrer, il connaît bien votre enfant et a son avis à donner.
–Le conseiller d’orientation psychologue pourra développer une approche individualisée plus poussée : il aide l’élève, lors d’entretiens, à mieux se situer et à élaborer son projet scolaire et professionnel.
– Le coach scolaire : Relevant d’un organisme privé, il fera passer à votre enfant toute une série de tests (d’aptitude, de motivation) et d’entretiens individuels pour cerner au plus près sa personnalité, ses potentiels et lui proposer une orientation adaptée. Les outils utilisés varient selon l’organisme retenu.
C’est ton destin !
Renault est l’objet de toutes les attentions : dopé par sa mère, coaché par son père (vendeur de voitures), il n’a d’autre issue que réussir, décrocher la position de premier de la classe… Jusqu’au jour où une certaine Aurore, surdouée, lui vole cette place. Renault va alors tout tenter pour écraser cette adversaire. Une course folle et illusoire qui le conduira à l’hôpital où il fera la rencontre d’autres enfants éclopés de la performance. Un livre simple et efficace qui rappelle aux parents que leurs enfants ne sont pas des objets et qu’ils ne pourront jamais satisfaire leurs ambitions sauf à devoir en payer le prix fort en s’oubliant eux-mêmes.
« Tu seras une formule 1 mon fils », Dorine Bertrand, La joie de lire, 8,90 €.