Frédérique Bedos « Chacun a un trésor unique à offrir au monde »

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Votre enfant vous a peut-être parlé d’elle… Frédérique Bedos, ex journaliste-présentatrice, sillonne désormais les écoles dans l’espoir de semer un peu d’espérance chez les jeunes. C’est l’un des buts de son ONG Le Projet Imagine. Mais aujourd’hui, l’actu de la belle quadra devenue réalisatrice, c’est son documentaire Le sacrement de la tendresse consacré à l’humaniste Jean Vanier, fondateur de l’Arche. Il vient d’être sélectionné dans la catégorie Positive Cinema Week du Festival de Cannes. Une belle surprise !

Un documentaire sur Jean Vanier présent au Festival de Cannes… une prouesse tant le thème du handicap mental chez l’adulte est peu « vendeur ». Quel est le sujet de ce documentaire ?

Le sacrement de la tendresse est un film consacré à Jean Vanier, un homme de la carrure de Mère Térésa qui, du haut de ses 88 ans continue à servir la justice. J’ai voulu présenter au public cet homme qui s’est battu pour changer le regard porté sur la vulnérabilité et faire une place aux handicapés mentaux. Pour notre monde, ces personnes sont le rebut de l’humanité, les oubliés du monde. L’adulte handicapé est mis au placard tant il met les gens mal à l’aise… Jean Vanier a pris ce sujet à bras-le-corps. Il est à la fois philosophe, humaniste et grande figure spirituelle catholique. Sa foi lui commande de prendre soin de la personne, d’accueillir l’autre tel qu’il est.

Quelle était votre intention en réalisant ce film ?

Mon challenge consistait à changer le regard sur le handicap mental et à faire découvrir Jean Vanier en tant que grand humaniste. Je voulais lui donner la possibilité de s’exprimer sur les sujets les plus brûlants qui concernent notre planète. Pour cela, j’ai choisi de tourner dans différents coins du monde : à l’Arche de Bethléem pour évoquer la paix entre les peuples. À l’Arche de Calcutta pour qu’il nous offre sa vision de l’inter-religion. Mon second challenge était le suivant : comment associer à l’écran un grand philosophe qui prend les questions avec une hauteur de vue et des handicapés mentaux ? Cela n’allait pas de soi… Mais c’est pourtant ce contraste qui devait permettre au public de pénétrer le secret de Jean Vanier.

Quel est son secret pour accueillir ces personnes si différentes de nous en apparence ?

Jean Vanier fait le constat suivant : nous autres nous croyons facilement « supérieurs » aux handicapés mentaux, alors que ces personnes ont tout simplement un autre langage, une autre grammaire. Elles sont différentes. Mais lorsque c’est lui qui le dit, cela sonne vrai ! J’ai choisi de placer des personnes handicapées face caméra afin d’illustrer cette conviction. On comprend alors en les écoutant qu’ils ont un chemin de pensée différent. On perçoit aussi l’infinie variété de leurs profils ! Chacun est un univers à lui tout seul ! Un univers fait de fantaisie, de poésie dont nous sommes privés… et d’humour. On rit beaucoup ! Ils sont à la fois désarmants et très touchant tant ils sont tout en vérité.

Quel est le profil des personnes qui s’occupent d’eux au sein de l’Arche ?

Les personnes qui travaillent à l’arche sont arrivées en disant qu’elles allaient aider. Aujourd’hui, toutes sont conscientes que ce sont elles qui ont été sauvées… Il est étonnant de constater à quel point la philosophie de Jean Vanier, ce regard particulier porté sur les handicapés mentaux, est si puissant que cette réaction est la même partout dans le monde : « Ça m’a sauvée ! »

Jean Vanier n’est pas aussi connu que Mère Térésa. Le risque était donc qu’il intéresse moins à l’écran…

Le film permet de comprendre d’où il vient. Il met au jour sa raison de vivre. Il a toujours été un homme de combat pour la justice. Pourtant, peu de gens savent ce qu’il faisait avant l’arche. Sa vie est une leçon.

Nous vivons dans un climat tendu : menace de nouvelle guerre froide, fractures sociales en France etc. Avec un sujet tel le handicap mental, votre film sort-il au bon moment ?

Le système ne veut pas ouvrir les yeux sur les adultes handicapés. Pourtant, le monde est prêt à entendre le message du film. Le public a besoin d’être réenchanté. Il a envie de se réconcilier avec ses valeurs profondes. Pourtant, j’ai fait le choix de ne pas jouer pas avec les codes qui font habituellement pleurer les spectateurs. Pour toucher le public, je me suis attachée à la force du message.

À travers les projets de votre OGN Le Projet Imagine, vous souhaitez initier un courant : le journalisme d’espérance. N’est-ce pas utopique et naïf tant on sait que les gens s’intéressent avant tout au sensationnel ?

Mon but n’est pas de proposer « un journalisme des bonnes nouvelles », nous ne sommes pas des Bisounours. Le mot « espérance » est choisi de manière réfléchie. La joie est au cœur de notre message. Nous regardons les problèmes bien en face, nous prenons la pleine mesure des problématiques et des enjeux, puis nous nous questionnons : que pouvons-nous faire pour y remédier ? Nos héros ont le regard tourné vers le futur : avec un esprit constructif, il est possible de remédier et d’avancer. Nous transformons ce mouvement en journalisme utile. Nous n’édulcorons jamais les problèmes. Notre démarche est tout sauf naïve !

Quel regard portez-vous sur le journalisme tel qu’il est pratiqué en cette période d’élections présidentielles et législatives ?

Les médias nous servent une caricature du monde. Ils ne creusent pas les sujets. Ils présentent les événements comme « blancs ou noirs » tant et si bien que cela se traduit par des votes « blancs ou noirs ». Le monde n’est pas blanc ou noir ! Pour échapper au climat anxiogène qu’ils fomentent, il faudrait habiter sur Mars… Ils transmettent une vision du monde très désespérée. À les écouter, on en vient à croire que notre monde est désenchanté et foutu. Ils ont le pouvoir de semer la peur, ce qui est très grave car la peur paralyse. Pire, quand on y réfléchit bien, on comprend que c’est aussi la peur qui empêche d’aimer.

Quel est le lien entre la peur et l’incapacité à aimer ?

Aimer c’est toujours prendre un risque et il y a urgence à prendre ce risque ! Si tu aimes une personne, son sort va t’importer donc… tu vas t’inquiéter et peut-être souffrir à cause d’elle. Pour éviter cela, les gens se referment sur eux-mêmes, sur leur famille, sur leur clan. Personnellement, j’ai fait l’expérience inverse. J’ai été adoptée par une famille en même temps que 20 autres enfants. Nous avons appris à accueillir l’autre dans toute sa différence. Mes frères et sœurs étaient tous jugés « inadoptables » : ils venaient de tous les coins du monde, de toutes les cultures, de toutes les religions. Tous avaient des fragilités diverses. Il nous a fallu apprendre à nous connaître et à nous aimer, car nous vivions sous le même toit. Je vois cette famille comme une miniaturisation du monde. Au fond, chacun devrait œuvrer pour construire la grande famille humaine, car c’est ce que nous sommes. C’est aussi le message que je tente de faire passer, film après film. Nous sommes des êtres qui rêvons d’amour. Nous rêvons d’en donner et d’en recevoir, or le monde crève de manque d’amour !

Comment changer notre regard sur le monde ?

Mon intention n’est pas de diaboliser les médias. Ils sont un outil formidable, une fenêtre sur le monde ! Je souhaite contribuer à réhabiliter cet outil pour qu’il soit utilisé à bon escient. Les journalistes doivent nous informer de manière plus qualitative : l’exigence n’est pas l’élitisme. Avec Le Projet Imagine, nous produisons des films pour le grand public. Nous essayons d’avoir cette authenticité dans la manière de traiter les sujets, sans édulcorer, sans effacer les aspérités… Nous essayons juste de bien raconter ces belles histoires.

Quelle est l’ambition de votre mouvement Imagine ?

Cette ONG est une mécanique, une force qui doit provoquer un effet de contagion jusqu’à déclencher le déclic d’action chez les spectateurs. Nous sommes tous capables du meilleur ! Ce courant doit regonfler nos cœurs et nous donner envie de faire des choses ! Personnellement, j’ai envie d’agir, j’ai un but ! Mes films sont seulement le moyen de favoriser l’émergence d’un grand mouvement d’action ! Notre postulat est le suivant : chacun est unique et a un trésor unique à offrir au monde. Faut-il seulement qu’il s’y autorise. Mais aujourd’hui, tant de trésors manquent au monde…

Bio express

Frédérique Bedos

17 mars 1971, naissance à Mont-Saint-Aignan (76).

2010

Présente les victoires de la musique. Elle fonde l’ONG Le Projet Imagine.

2013

Sortie du livre-témoignage La petite fille à la balançoire, dans lequel elle raconte son enfance.

2014

Le Président François Hollande la choisit pour intégrer le comité de parrainage du label La France s’engage, consacré à l’innovation sociale.

2014

Réalisation du film Des femmes et des hommes, consacré à l’inégalité des sexes à travers le monde.

Le mouvement Imagine

L’ONG Le Projet Imagine fondé par Frédérique Bedos est un vaste mouvement destiné à inspirer et pousser à l’action tous ceux qui rêvent de sauver la beauté du monde. Le projet n’a rien d’utopique : quelque 8 millions de personnes à travers le monde ont déjà visionné Des femmes et des hommes (2014), un documentaire consacré aux inégalités entre les sexes.

www.leprojetimagine.com

À lire

De la résilience en projet Imagine

La petite fille à la balançoire, c’est l’histoire d’une petite fille dont la maman glisse lentement dans la maladie mentale. Elle rencontre une famille extraordinaire de la banlieue de Lille, qui adopte des enfants du monde entier. Adolescente, elle partage sa vie entre cette maison du bonheur et des tête-à-tête compliqués avec sa mère à la dérive. Entre amour doux et amour fou. C’est l’histoire de Frédérique Bedos… Bac en poche à seize ans, elle débarque dans la capitale pour ses études. Repérée dans un café par un producteur américain, sa vie s’accélère entre Paris, Londres et New York. Mais les prime time sur MTV, France 2 ou M6 ne parviennent pas à lui faire oublier d’où elle vient et à qui elle doit d’être sauvée. En 2009, elle laisse tomber les paillettes pour mettre en lumière des héros anonymes : c’est le Projet Imagine. Un livre étonnant, qui témoigne d’une force et d’une joie de vivre qui nous emportent. Un récit qui donne envie d’aimer, d’aimer sans condition, d’aimer malgré tout.

La petite fille à la balançoire, Frédérique Bedos, Les Arènes. 17 €.

Marie Bernard

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