L’alcool et l’ado : pièges et bonnes pratiques

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Un verre, ça va ?

Etonnamment les ravages de l’alcool sont connus sur l’ado, mais le phénomène reste minimisé. Quelques conseils aux parents…

L’« alcool défonce » – ou « binge drinking » – se répand chez les jeunes générations et laisse beaucoup de parents dans l’incompréhension. À partir de quand leur enfant a-t-il un problème avec les substances éthyliques, sachant qu’il est au contact de l’alcool de plus en plus tôt, vers ses 12 ans et plutôt dans le cadre familial ( !) selon les études ? Quelques informations pour y voir plus clair.

Les dangers de l’addiction précoce

L’adolescence est une période souvent complexe et difficile à vivre, donc propice aux addictions pour accepter les changements biologiques, psychologiques, cognitifs et sociologiques qui peuvent être mal vécus par le jeune individu ; « poussé à la curiosité et aux expérimentations, il peut avoir recours à des palliatifs addictifs », remarque Blandine Arzel, chef de service en centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) à Paris-Confluences. Des critères existent pour qualifier une addiction : « le comportement se répète durant plus d’un an, la personne perd le contrôle, n’arrive pas à gérer l’envie, souffre et continue malgré les désagréments à venir », décline le Dr Laurent Karila, psychiatre addictologue de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif (94). Cette consommation exagérée peut avoir des conséquences importantes sur la santé d’un adolescent, beaucoup plus que sur celle d’un adulte. Son développement physique et surtout psychique n’est pas terminé, son organisme n’est pas prêt à en supporter les effets délétères. Cet abus peut donc avoir des conséquences irréversibles sur son système neurologique et sa santé en général. L’adolescent est également plus vulnérable face aux risques d’intoxication et de perte de contrôle.

Ne pas tomber dans la paranoïa

Pourquoi boivent-ils? Pour rendre la fête plus drôle, pour faire quelque chose de réservé aux adultes ou juste pour faire comme les autres. Parfois aussi, pour affronter leurs problèmes ou se détendre. « Je suis un grand timide et quelques verres avant d’aborder les gens me lavent la tête et m’aident à passer le cap dans les soirées », avoue Arthur de Paris, 16 ans. Pas d’affolement, une consommation modérée et occasionnelle n’est pas si alarmante. « Il faut bien sûr faire du cas par cas, un adolescent qui s’adonne trop régulièrement à ce genre d’activité mais qui s’en sort bien au niveau scolaire, a des amis et suit plusieurs activités sera juste surveillé, quand nous intervenons pour celui qui s’isole et donne des signes psychologiques inquiétants. Tous les champs doivent être évalués », distingue le Dr Geneviève Lafaye, responsable de l’unité Addictologie Adolescents à l’hôpital Paul-Brousse.

Des erreurs parentales classiques

En la matière, il est évident que le « non » seul ne suffit pas ; il doit absolument être accompagné d’information. Les moyens pour se fournir en alcool aujourd’hui sont nombreux. Il est donc irréaliste d’interdire toute consommation sans explication. « J’ai vite compris qu’au lieu d’appliquer une répression pure et simple, j’avais plutôt intérêt à ouvrir le dialogue », se souvient Mireille Beley à Bordeaux, dont la fille de 19 ans a désormais quitté le domicile. Il ne s’agit pas de se justifier mais de renseigner, pour ensuite imposer règles et sanctions. Lesquelles doivent absolument évoluer en fonction de l’âge de l’adolescent. Certains parents se décident à faire preuve de tolérance et à autoriser les fêtes avec alcool chez eux, prétextant qu’il est plus sûr que cela se passe sous leur toit qu’à l’extérieur. Une erreur évidente pour des mineurs, d’autant plus qu’ils peuvent faire un rappel évident à la loi pour clore toute discussion. Bien sûr, plus l’enfant grandit, plus le parent va devoir s’adapter à la situation en autorisant à un moment donné, sous certaines conditions, la présence d’alcool. À partir de 18 ans, même si l’enfant est majeur, les parents ont toujours le droit de fixer des règles à respecter à leur domicile. Faire accepter ces mesures passe évidemment par le rappel des risques. Enfin, pères et mères ne doivent pas négliger la dimension de modèle qu’ils peuvent incarner, même auprès de leur ado rebelle. Si la consommation d’alcool des parents est le seul repère, il n’y a pas de raison pour qu’il ne reproduise pas les abus. Les parents ne peuvent mettre en garde que si eux-mêmes montrent le bon exemple, par une sobriété sans faille ou une consommation maîtrisée. La famille est le premier lieu où l’alcool peut se transmettre, aussi bien dans un apprentissage du goût que dans ses risques les plus sombres…

Dialogue délicat mais nécessaire

« Le rôle des parents consiste à amener leur enfant à être son propre parent, à se prendre en main, se protéger, ne pas agresser. Leur dilemme commence très tôt. Est-ce qu’on lui lâche la main lorsqu’il apprend à marcher? Si on le fait trop tôt il se fait mal en tombant, si on le fait trop tard il pensera qu’il est incapable de le faire seul. Le timing diffère selon chaque enfant, puis plus tard selon chaque pré-adolescent », explique Anne-Catherine Pernot-Masson, attachée à l’hôpital Trousseau, pédopsychiatre, psychanalyste et thérapeute de famille (1). La surprotection, en se disant que l’enfant fera ses expériences lorsqu’il saura se protéger, n’a aucun sens en matière d’alcool. « Les jeunes qui ont vécu dans un cocon sont par exemple ceux qui tombent plus facilement dans un coma éthylique parce que tout à coup ils ont été libres de boire. Et à contrario d’autres laissent leur enfant se confronter à des traumatismes sans intervenir », rappelle la spécialiste. L’approche doit être plus subtile, basée sur l’échange. « Mon fils Rémy n’a pas été dans le déni, il m’a avoué qu’il buvait pour mieux s’intégrer à la communauté étudiante. J’ai pu le mettre en garde de manière sereine », remarque Patricia, mère de cinq enfants à Lille. Le dialogue permet aux parents d’exposer ce qui les inquiète. Certains n’hésitent pas à marquer l’esprit du jeune individu en décrivant les méfaits de l’addiction dans les moindres détails. D’autres en profitent aussi pour le jauger et lui demandent comment il voit les choses pour la prochaine soirée. Est-ce qu’il pense qu’il y aura de l’alcool ? Comment compte-t-il faire pour parer aux risques ? Et s’il sort avec sa bande d’amis, comment vont-ils s’y prendre pour se protéger les uns les autres ? Certains spécialistes vantent même les mérites d’aborder le sujet avant la première expérimentation, à 12-13 ans. Parler en amont de l’alcool à son enfant, par exemple à l’occasion d’une fête de famille ou lors du visionnage d’un reportage télévisé, lui permettra de prendre les bonnes décisions lorsqu’il y sera confronté. De plus, si le sujet a déjà été abordé dans un cadre serein, l’enfant saura qu’il peut en parler avec ses parents en cas de problème.

Le besoin de jalons malgré tout

Ce n’est pas un scoop, le jeune provoque et essaie car il est en demande de règle. Les parents ont tout intérêt à rappeler classiquement les dangers d’une consommation excessive d’alcool mais aussi à poser les limites en termes d’horaires et de quantité consommée. Les lois officielles en imposent mais il existe aussi leurs propres règlements parce que – il est toujours important de le rappeler – ils se soucient du bien-être et de la santé de leur enfant. Même si les règles sont faites pour être transgressées à ces âges, il est primordial qu’elles soient posées, comprises et bien-sûr que les conséquences soient connues. L’ado peut ainsi se positionner en connaissance de cause… La mise en place d’un cadre n’est pas forcément écrasante. « Il n’étouffe pas la personnalité comme certains aiment à le penser. Au contraire, ces ancrages aident le jeune à se construire, en lui donnant un sentiment de sécurité », observe Claire Leduc, travailleuse sociale et thérapeute familiale honoraire au Canada (2). Cependant, la situation est parfois dure à appréhender : les jeunes sont très différents et ce qui sera une aide pour l’un sera un harcèlement pour l’autre. De plus, le pré-ado évolue vite et son sens des responsabilités avec. « La réussite scolaire est le meilleur indicateur de la confiance qu’on peut lui accorder », rappelle à ce titre Claire Leduc. Sans tomber dans la paranoïa extrême, les parents doivent en tout cas faire preuve de vigilance vis-à-vis de l’alcool, trop souvent perçu comme un simple passage initiatique pour leur ado. Les drogues attirent toute l’attention parce qu’elles sont des produit «extérieurs», importés de l’étranger et interdits quand les effets de l’alcool –  produit «intérieur», souvent produit en France et intégré dans les usages –, sont encore assez minimisés.

(1) « Découvrez le parent qui est en vous » d’Anne-Catherine Pernot-Masson, éd. Payot “Petite Bibliothèque”, 2010

(2) « Le parent entraîneur » de Claire Leduc, éd. Logiques, 2002

Julien Tarby

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