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Par des exercices anodins et quotidiens, adultes comme enfants peuvent mieux observer leur vie intérieure, se connaître et générer des changements positifs dans leurs attitudes. Explications.
Pourquoi cinquante députés et sénateurs ont écouté le psychiatre Christophe André(1), célèbre médecin-psychiatre qui a fait entrer la méditation à l’hôpital, ce 11 décembre 2017 ? Pour prendre de meilleures décisions dans la gestion de la vie publique. Anecdotique ? Loin de là. Depuis 2013, 145 parlementaires britanniques ont suivi des programmes de huit semaines d’initiation à la méditation, les « Mindful Politics ». Leurs homologues suédois ont fait de même. La pratique, qui concerne les adultes mais a son adaptation pour les enfants, gagne du terrain parce qu’elle tend à prouver scientifiquement son utilité.
Exercices plus répandus qu’on ne le croit
Certains restent réticents parce qu’ils s’imaginent que la méditation, liée au bouddhisme et à la spiritualité, a forcément des origines religieuses. C’est qu’ils ne connaissent pas là « méditation de pleine conscience » développée par le médecin américain laïque Jon Kabat-Zinn. Les députés veulent aussi faire le point parce que les séances se développent de longue date dans des programmes d’hôpitaux et écoles soutenus par les structures publiques de leur circonscription. Le principe ? Se tourner vers la vie intérieure, ce flot de pensées, de souvenirs, de projets, de ressentis émotionnels et corporels, qui se font et se défont en permanence au plus profond de soi. Un simple murmure lointain, mais pour qui sait l’écouter – comme Christophe André qui exerce au sein d’une unité de psychothérapie comportementale et cognitive à Sainte Anne et a été parmi les premiers médecins en 2004 à populariser le concept – il peut être une source d’enseignements extraordinaire pour se connaître, se comprendre et mieux conduire son existence. Ainsi des salariés surmenés, ou des parents ayant l’impression de passer à côté de l’essentiel méditent quotidiennement, durant environ dix minutes, en position du tailleur ou du lotus, le dos bien droit pour ne pas s’avachir. « Dans nos sociétés tournées vers le matérialisme et les apparences, ce détour personnel m’est devenu essentiel. J’ai l’impression d’être plus en éveil sur ce que je fais, de moins traverser des tunnels temporels qui se ressemblent », relate Yann Marthey, père à la Rochelle de trois enfants en bas âge, qui a vécu un burn-out parental. Les yeux fermés ou fixés sur un point devant soi sur le sol, la méditation de pleine conscience consiste à garder son attention dans le moment présent et observer les signaux faibles autour de soi. Il ne faut donc pas essayer de faire le vide dans son esprit. Mais plutôt laisser passer les sensations, les sentiments, sans s’y attarder. « Je m’accroche à un détail – ma respiration, mon corps, un bruit régulier – pour m’aider à recentrer mon attention dans le présent. J’ai mis trois semaines avant de ne plus me faire emporter par mes pensées », se souvient Yann Marthey.
Apaisement et discernement
Il s’agit de laisser venir pensées et angoisses qui inondent en continu l’esprit, de les noter sans les juger, et de les laisser partir. De même avec les sensations apportées par le corps et les sens, afin d’obtenir une ouverture maximale du champ attentionnel. Le but ? Obtenir un « désengagement des tendances à juger, contrôler, ou orienter cette expérience de l’instant présent », écrit Christophe André. Le méditant ne cherche pas à analyser, il observe et éprouve. « Je me suis aperçue que mon cerveau n’arrêtait pas de penser, en continu. Il est bon de le savoir, le percevoir, et d’essayer de freiner la machine dans la mesure du possible », relate Sabine Curty, enseignante-chercheure à Chambéry qui a connu des difficultés de concentration et de sommeil. Les bienfaits de cet état ont été validés scientifiquement, notamment par l’imagerie cérébrale – le cerveau des pratiquants étant moins soumis au stress et vieillissant moins vite. Christophe André aime à rappeler qu’ « en sanskrit, il existe deux mots pour évoquer les effets de la méditation, shamata, ‘‘apaisement’’, et vipashyana, ‘‘discernement’’ ». Aujourd’hui dans le milieu du soin, l’accent est porté sur l’apaisement qui est thérapeutique. Le vipashyana est moins quantifiable. Néanmoins la méditation de pleine conscience, qui engage à prendre du recul et discerner, affûte aussi la capacité à dénouer les situations complexes, sans être agité par les émotions ou téléguidé par les convictions. « C’est le moyen que j’ai trouvé pour prendre mes grandes décisions, sans être influencée par des soucis que mon cerveau fait habituellement tourbillonner en boucle », se réjouit Sabine Curty.
Prédispositions des enfants
Les enfants subissent aussi quelques travers de la modernité, comme l’utilisation abusive des écrans, qui détournent leur attention, ce qui peut générer à terme des difficultés de concentration ou d’endormissement, sans parler de l’agitation. Eline Snel, thérapeute, a donc adapté la pratique aux enfants de cinq à 12 ans, pour que ceux-ci, par des exercices de respiration, concentrent leur attention sur le ressenti non verbal, corporel et sensoriel, afin de prendre conscience de leur météo intérieure et de pouvoir l’exprimer ultérieurement(2). La Néerlandaise a déjà convaincu plus de 150 000 parents et enseignants enthousiasmés par son ouvrage. Sa méthode est désormais mise en application dans des écoles primaires aux Pays-Bas et en Belgique. Elle a créé l’Académie pour l’enseignement de la pleine conscience, où elle assure des formations pour les instituteurs, les psychologues, les parents et surtout les enfants, qui contrairement aux idées reçues, sont au départ de petits-maîtres en matière de pleine conscience, puis par la suite grandissent, apprennent à anticiper, à revenir sur leur passé… « A la différence des adultes ils sont dans ce qu’ils font. Quand ils mangent, ils mangent, quand ils jouent, ils jouent… », explique la Batave. Autant donc les aider à préserver ce merveilleux capital par la méditation. De multiples recherches démontrent les bienfaits d’un exercice régulier pour nos chères têtes blondes : « équilibre émotionnel, capacité de résilience, meilleure attention, notamment dans le travail scolaire et les apprentissages », écrit Christophe André.
Boîte à outils
Dans la méthode Eline Snel, les parents apprennent par exemple à ne pas réagir automatiquement. L’acceptation – reconnaître ce que les choses sont au moment présent, agréables ou désagréables –, la présence – être ouvert et généreux à tous les moments, sans jugement, en tenant la main de l’enfant dans les difficultés ou les joies –, et la compréhension – qui permet d’être authentique dans les moments où on manque de gentillesse ou de patience – sont les trois piliers à respecter pour que l’enfant se sente en sécurité et en confiance. Les enfants apprennent de leur côté à mieux connaître leur corps, par lequel passe le langage non verbal auquel ils sont très sensibles. Les premiers exercices concernent d’ailleurs la respiration pour trouver le sommeil. Il s’agit aussi de leur demander, dans les moments de joie ou de tristesse, comment se déroule leur respiration à ce moment, pour qu’ils en soient de plus en plus conscients. Puis il est possible de leur faire augmenter l’attention à leurs sens, avec des exercices de dégustation à l’aveugle, des épreuves de mémoire où il faut retenir des objets vus sur le chemin de l’école, ou de narration où ils doivent raconter lors du dîner, durant deux minutes, un évènement de la journée pendant que les autres écoutent attentivement le déroulé et les inflexions de voix. Puis ils apprennent à sentir leurs corps. « Des épaules tendues, des battements du cœur, un nœud dans l’estomac ou au contraire un sentiment d’être en forme doivent être mieux perçus », explique Eline Snel. Ainsi les enfants sont en capacité de comprendre qu’ils sont dans l’inconfort parce qu’ils suivent trop les autres, qu’ils sont influencés par un évènement de la veille… « Il s’agit pour eux de quitter leur tête pour sentir les signaux de leur corps », insiste la thérapeute… jusqu’à ce qu’ils puissent dessiner leur temps intérieur. Il leur sera ensuite possible de trouver une échappatoire – jeu avec les parents, caresses du chien… – et de ne pas ruminer leurs pensées, exactement comme les adultes lorsqu’ils suivent les conseils de Christophe André…
(1) « La vie intérieure », de Christophe André, éd. L’Iconoclaste, janvier 2018.
(2) « Calme et attentif comme une grenouille », d’Eline Snel, éd. Les Arènes, 2012.
Julien Tarby