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En France, environ 150 000 enfants sont placés parce qu’ils ont perdu leurs parents ou parce qu’ils sont en danger dans leur foyer. Les familles d’accueil ne sont plus l’unique solution, il y a aussi des Villages d’enfants. Une sorte de lotissement où les enfants, encadrés et suivis en continu par les éducateurs, poursuivent leur développement et grandissent sans être séparés de leurs frères et sœurs. C’est la mission de la Fondation Action Enfance…
La Fondation a été créée en 1958 par Suzanne Masson, qui accueillait des orphelins de guerre pour leur donner du soutien matériel et affectif. Aujourd’hui, Action Enfance est reconnue d’utilité publique et travaille en coopération avec les Conseils départementaux et les juges pour enfants. Lorsque des cas de violence ou de négligence sont avérés (c’est le cas pour 60 % des enfants placés), ces derniers décident de retirer provisoirement ou durablement la garde des enfants à leurs parents afin de les protéger. La mission de la Fondation et de ses 469 éducateurs familiaux et psychologues est donc l’accueil, la protection et l’éducation de ces jeunes, de leur enfance à leur vie d’adulte. Grâce à Action Enfance, les frères et sœurs peuvent être regroupés au sein d’un même Village. Selon la décision du juge, ils sont autorisés, soit à passer un week-end chez leurs parents, soit à les voir en sortie libre ou bien en présence d’un éducateur (visite médiatisée). La Fondation compte 15 établissements en France, dont 11 Villages d’enfants, trois foyers d’adolescents et services pour les jeunes majeurs et un foyer d’accueil et d’observation. Près de 750 enfants et adolescents ont retrouvé repères et équilibre grâce à Action Enfance.
Comme une famille… ou presque
Des enfants qui jouent dans la rue, des affaires dispersées près des paliers des maisons, des adultes qui s’activent pour aller chercher les plus grands à l’école. Une vie de quartier ce qu’il y a de plus banale et pourtant, les 48 enfants qui vivent dans ces huit maisons ont tous été placés sur la décision d’un juge. Les adultes, eux, sont des éducateurs professionnels. Ils passent leur temps avec les enfants, prennent soin d’eux, comme de vrais parents. « Les départements cherchent à avoir une offre la plus variée possible dans les solutions proposées aux enfants et aux situations de protection de l’enfance. Nous concernant, le département du Loiret a compris que nous accueillons d’abord les fratries, pour lesquelles un travail est effectué dans la durée, avant d’envisager le retour de l’enfant dans sa famille. Le Conseil départemental s’adresse donc à nous », explique Sandra Macé, la directrice du Village d’Amilly. Parfois, les frères et sœurs ne vivent pas dans la même maison car il faut que les liens entre eux soient reconstruits. « Certaines fratries ne sont pas habituées à vivre ensemble ou alors ne s’entendent pas. Ce peut être le cas notamment lorsque l’aîné de la famille est à l’origine du placement car il a raconté ce qui se passe à la maison à l’assistante sociale de l’école, afin de protéger ses frères et sœurs. Ces derniers ont besoin de temps pour comprendre que cette action n’était pas dirigée contre eux mais a été commise pour leur bien », détaille Sandra Macé.
Une équipe de quatre personnes se relaye jour et nuit (chacun passe trois jours et deux nuits dans la maison) pour s’occuper des six enfants logés dans le pavillon. Chaque maison est rattachée à un chef de service et à un psychologue. « Avant on mettait les enfants du même âge ensemble, maintenant on essaye de les mélanger. Ça représente plus une vraie famille. Ils s’autorégulent entre eux, les grands font attention aux petits », explique Coralie, qui s’occupe avec ses collègues de Marie (3 ans), Lisa (6 ans), Léo (7 ans), Mélody (8 ans) et de deux frères Thomas (13 ans) et Éric (15 ans). Chaque enfant a sa chambre et est libre de la décorer comme il le souhaite. Parfois, les frères et sœurs peuvent dormir dans la même pièce, comme ils le feraient chez eux. « Dans d’autres structures où j’ai travaillé, c’était vraiment comme un foyer. Ici, il y a une structure familiale », explique la jeune femme. « Cet environnement me permet de partager des moments agréables et intimes avec les enfants comme une soirée autour de jeux de société ou alors une pyjama-party devant un bon film. »
« Parfois, lorsque des personnes me demandent de leur expliquer mon travail, je leur réponds que c’est une vie de famille », raconte Coralie. En effet, sa journée est rythmée, telle celle d’une mère de famille nombreuse. Le réveil sonne vers six heures, Coralie s’occupe du petit-déjeuner. Ensuite, c’est la course contre la montre : préparer tout le monde pour l’école et déposer tous les enfants dans leur établissement scolaire. Vient ensuite l’heure des courses et des tâches administratives : prendre des rendez-vous médicaux, se pencher sur le projet de l’enfant (ce qu’il faut travailler avec lui), préparer le compte rendu pour le juge ou l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il faut aussi s’occuper de la maison. Après l’école, l’heure est aux activités de loisir : du cirque, de la danse, de l’escalade, de l’équitation, du scoutisme, etc. Il y a un aspect éducatif derrière, essayer de soigner les blessures, de faire grandir et évoluer les enfants. « Ils pourraient se suffire à eux-mêmes dans le Village mais on essaye de les extirper car ce n’est pas la réalité », précise Coralie. C’est pourquoi, si jamais les enfants veulent inviter leurs amis au Village, ils peuvent le faire. Tout comme aller chez leurs amis.
« Notre outil de travail est le cœur »
Ne serait-ce que dans sa façon de parler aux enfants, on ressent tout l’amour que porte Coralie aux enfants. Ils sont tous câlinés, si quelqu’un a besoin d’un bisou avant de se coucher, Coralie le lui donnera toujours. Une histoire avant de s’endormir ? Elle sera la plus belle et la plus intéressante. « Notre outil de travail, c’est le cœur. C’est l’être humain », explique Coralie, tout en remuant la blanquette sur le feu.
Quand ils sont en colère, quand ils ne sont pas contents et se comportent mal, les enfants sont priés de réfléchir à leur comportement et à ce qui ne va pas en eux. « Certains enfants, qui parlent mal ou dévastent leur chambre, ont tout simplement du mal à exprimer leur colère normalement, à verbaliser leur émotion. Nous sommes là pour les aider mais avant tout, ils doivent nous faire comprendre ce qui ne va pas. Il faut parler avec eux », explique Thierry, chef de service.
« Il m’est déjà arrivé de contenir un enfant en colère », se souvient Sandra Macé. « Je lui ai dit : «Je vois que tu ne vas pas bien, je ne te lâcherai pas, donc hurle car apparemment tu as quelque chose à exprimer. Comme ça ne venait pas, je lui ai dit : Tu n’oses pas, donc je crie avant toi». Je l’ai pris au dépourvu et il a fini par hurler et sortir toute sa colère. Ne serait-ce que de la crier, ça lui a fait du bien. » Les éducateurs sont ainsi présents pour les enfants dans tous les moments de leur vie. Une relation de confiance s’installe entre eux. Ils savent qu’ils peuvent compter sur ces adultes qui ne leur veulent que du bien.
Pour autant, il y a des frontières à ne pas franchir. « Notre direction est là pour veiller à ce qu’on garde une certaine distance. Par exemple, je n’amènerai jamais les enfants chez moi ou si un jour, j’ai des enfants, je ne pense pas que je les leur présenterais. Cela peut être violent pour eux car ils peuvent faire le transfert. Même si on leur donne de l’amour et de la sécurité, nous ne sommes pas leurs parents », détaille Coralie. Et en même temps, ces enfants grandissent avec leurs habitudes de vie. « Toute leur vie, il y aura une part de nous en eux. Mais ce qui compte réellement pour nous, c’est qu’ils avancent, que sur le plan émotionnel, ils aillent bien. Nous sommes sur des placements longs ici, mais nous gardons notre objectif, que l’équilibre dans leur famille soit rétabli et qu’ils puissent rentrer un jour chez eux, lorsque cela sera possible. »
Accompagner le lien entre parents et enfants
Garder le lien avec les parents est l’un des objectifs de la Fondation. La plupart des enfants peuvent voir leurs parents. Certains tous les 15 jours ou chaque week-end, d’autres auront parfois le droit de dormir chez eux. Mais, ici tout est fait pour espérer réunir un jour la famille de manière définitive. Les éducateurs ont donc un double rôle à jouer, aider les enfants à se reconstruire et pousser les parents, via des conseils, à devenir de meilleurs papas et mamans. Si le rendez-vous entre les parents et l’enfant s’est mal passé, les éducateurs et les chefs de service écrivent au juge ou à l’ASE. Ils observent aussi les enfants, s’ils sont tristes, énervés… Durant les réunions entre équipes, ils demandent l’avis des deux psychologues présentes sur place. À l’inverse, si tout se passe bien, le juge est également informé. Dans les deux cas, les équipes doivent être en alerte.
Côté éducatif, les équipes du Village ne doivent pas « bafouer l’autorité parentale et oublier les aspects juridiques », explique Coralie. Et de préciser : « Par exemple, nous ne pouvons pas leur couper les cheveux sans l’accord des parents ou encore signer leur carnet et bulletin de notes ».
« Dans tous les cas, nous sommes obligés de travailler avec les parents. Un jour, certains enfants vont rentrer chez eux, les parents doivent savoir comme les protéger, gérer, éduquer. Nous les incitons donc à participer à leur vie même s’ils sont au Village. Selon la décision du juge, nous leur demandons de venir aux rendez-vous médicaux ou à l’école, par exemple. Ils ne doivent pas seulement être parents dans le loisir », précise de son côté Sadia, une autre éducatrice de la maison. « Nous ne remplaçons pas les parents. Nous travaillons main dans la main avec eux pour leur bien et celui de leurs enfants. Il y a des parents qui nous demandent de l’aide et nous disent s’ils ont connu des difficultés lors de la garde. Même si ces cas sont rares, c’est un bon signe », ajoute-t-elle.
La vie après 18 ans
Lorsqu’ils sont adolescents, Action Enfance prépare les enfants à devenir autonomes, car arrivés à 18 ans, ils seront obligés de quitter le Village, selon la loi. Un studio avec une entrée privée est dédié en ce moment à un ado de 17 ans. Ainsi, il peut s’habituer à vivre seul, se faire à manger, gérer ses horaires de travail, de formation, etc. Toutefois, il ne faut pas croire qu’une fois qu’ils ont 18 ans, ces jeunes sont « lâchés dans la nature ». La Fondation a mis en place un service de suivi. Les jeunes peuvent revenir à tout moment pour partager leurs joies ou leurs peines. Ils peuvent bénéficier d’un coup de pouce économique, d’un conseil, d’un accompagnement administratif ou seulement d’une oreille attentive. Il y en a bien sûr qui ne donnent pas de nouvelles car ils gardent une blessure du fait d’avoir été placés. Mais parfois, ils finissent quand même par revenir voir les éducateurs au bout de 5-6 ans. D’autres reviennent dans le Village avec leurs enfants et leurs conjoints pour montrer l’endroit où ils ont grandi, car c’est aussi leur maison, leur famille…
Anna Ashkova