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De tous les cousins, c’est lui qu’elle préfère ! Mais pourquoi Granny se permet-elle d’avoir une préférence et comment les parents peuvent-ils gérer cette injustice ? Des spécialistes répondent.

Dans la famille Touvabien, je demande le chouchou de Granny ! Vous savez, celui qui a une place un peu à part et qu’elle cite un peu trop souvent en exemple devant tous les cousins ? Cet été encore, à table et sur la plage, il n’était question que de lui. Granny n’a pas tari d’éloge sur son brillant passage en première – avec 10,3 de moyenne – tandis que les exploits des autres cousins étaient passés sous silence. Y compris l’entrée en prépa HEC de votre nièce avec un an d’avance… Et oui, c’est ainsi, Granny a un préféré et ne s’en cache pas vraiment. « Autant préférer un de ses enfants est tabou, autant marquer une préférence pour un de ses petits-enfants ne pose aucun problème à certains grands-parents », constate la psychologue clinicienne Maryse Vaillant, auteur d’Au bonheur des grands-mères (Erès). Guillemette, 43 ans, mère de deux enfants, confirme : « Mon père a toujours eu un faible pour mon fils aîné qu’il emmène régulièrement en vacances, faisant fi des autres petits-enfants. Cela me met mal-à-l’aise vis-à-vis de mes frères et soeurs mais dans le fond, que puis-je faire ? » Une situation inconfortable pour tous qui peut nuire à la bonne entente générale et déclencher des « rivalités cousinières ».

L’héritier du nom

Mais pourquoi diable, alors qu’on les croit justes et parvenus à une certaine sagesse, certains grands-parents ont-ils une préférence, et pire, la clament-ils haut et fort ? « Un enfant arrive toujours dans un contexte familial qui le précède et qui va donner à sa naissance une dimension particulière, explique Maryse Vaillant. Cela peut être une petite-fille qui vient après plusieurs garçons, ou l’arrivée tant attendue de l’héritier du nom qui va assurer la lignée ! » Le sort en est parfois jeté avant même que l’enfant ne soit né ! 3,7 kg d’espoir… « Mon fils est né dans un immense cri de joie familial, raconte Gaétan qui avait annoncé le sexe de sa progéniture quelques semaines auparavant sous la pression familiale. La naissance de Laura, deux ans plus tard, n’a pas eu la même résonnance, presque un non-événement qui a beaucoup peiné ma femme. » Difficile pour ceux qui arrivent après l’Elu de se faire une place dans l’arbre généalogique. « Mon neveu, premier petit-fils à porter le nom de famille, a, malgré lui, pris toute la place dans le coeur de ma belle-mère, confie Isabelle. A tel point que l’arrivée de mon fils l’a à peine intéressée. Lorsqu’à ma sortie de clinique je lui ai proposé de prendre Florent dans les bras, elle m’a répondu qu’elle préférait porter ma valise ! » Dur dur d’être un bébé !

Parce que c’était lui…

La proximité géographique joue également. Partager le quotidien de ses petits-enfants peut contribuer à s’en rapprocher. Plus on se connaît, plus on s’apprécie et l’on se découvre des affinités. « Une grand-mère qui vit près de sa fille et qui s’occupe dès sa naissance de son petit-enfant créé avec lui des liens affectifs très forts qui présument de relations plus intenses avec lui plus tard », analyse Maryse Vaillant. Il arrive aussi que des grands-parents manifestent plus d’affection à l’égard d’un petit-enfant qui souffre d’une situation familiale douloureuse, comme un divorce. Plus sollicités pour venir en aide aux parents lors des vacances scolaires, ils se rapprochent alors de leurs petits-enfants et les couvent un peu plus pour compenser. « Ma petite-fille a été perturbée par la séparation de ses parents, témoigne Anne-Marie, fringante grand-mère de 63 ans. J’avoue que je la gâte plus que ses cousines mais je sens qu’elle a particulièrement besoin de ces marques d’affection. » Parfois les attirances sont plus arbitraires et ne relèvent pas d’un contexte familial particulier. C’est le « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » de Montaigne. « Les grands-parents sont des êtres sensibles, ne l’oublions pas, signale Marie-Françoise Fuchs, fondatrice de l’Ecole des Grands-Parents Européens. Leur sensibilité intellectuelle, affective, peut trouver écho chez un de leurs petits-enfants. Ils ne vont quand même pas réprimer cet élan ! »

Assurer un minimum syndical

Soit, mais gare aux répercussions qu’une telle complicité peut avoir sur le reste de la famille ! « Quand un enfant est clairement préféré, c’est un souci pour tout le monde, pour les autres petits-enfants, pour les parents, mais aussi pour le chouchou ! », note Anne-Solenn Le Bihan, psychologue, auteur de l’ouvrage Si tu dis non, je vais chez mamie (Larousse). Car même le préféré n’a pas une position enviable ! Porter la jalousie des autres est difficile. « Ce n’est pas forcément un cadeau à faire à un petit-enfant que de le mettre à cette place », poursuit la spécialiste. Un point de vue que les autres petits-enfants ne perçoivent pas nécessirement. « Je ne comprends pas que mes grands-parents fassent des différences, se lamente Mathilde, 15 ans, et je comprends encore moins qu’ils ne m’aient pas choisie comme chouchoute ! ». Rien n’échappe à l’oeil des ados, même s’ils arrivent à garder une pointe d’humour ! L’idéal est donc de rester discret. « Les grands-parents ne doivent pas montrer leur préférence », juge Maryse Vaillant. « Ils doivent en tout cas bien la gérer, ajoute Anne-Solenn Le Bihan qui estime que pour les cadeaux et les prises de nouvelles au téléphone, ils ont l’obligation d’assurer « une parfaite équité entre tous les petits-enfants », ce qu’elle nomme « le minimum syndical ».

Rompre le silence

Dans tous les cas, le mieux est d’en parler avec ses propres enfants. « Les parents doivent expliquer à leurs enfants pourquoi leurs grands-parents ont une préférence, qu’elle soit rationnelle ou non, conseille Maryse Vaillant. Ils doivent aussi les déculpabiliser, leur expliquer qu’ils ne sont pas responsables de cette situation ». Une démarche qui nécessite de la part des parents un travail d’analyse qui peut s’avérer difficile lorsqu’il les renvoie à leurs propres souffrances. « Mes parents préfèrent ma nièce à mes propres enfants, de la même manière qu’ils préféraient déjà ma soeur lorsque nous étions petites », se navre Florence, 37 ans. Dans ce cas, il faut déjà avoir fait un travail sur soi et que « le simple fait de dire à son enfant  » moi non plus je n’étais pas sa préférée  » ne détruise pas », remarque Anne-Solenn Le Bihan. L’occasion de faire le point sur le passé. « Une telle situation peut être un déclencheur et ouvrir la porte à une thérapie pour les parents qui n’auraient pas pansé certaines de leurs plaies », poursuit la psychologue. Et si un ado refuse de voir ses grands-parents pour cause de favoritisme à l’égard d’un autre ? Nos deux observatrices sont unanimes : les parents doivent écouter leur enfant mais ne pas l’autoriser à rompre ce lien générationnel. La vie de famille n’est pas un long fleuve tranquille et il faut faire avec !

Être philosophe

Dans la famille Touvabien, chacun a ses petits travers. Certes, Granny a un chouchou mais est-on bien certain de ne pas bénéficier aussi de traitements de faveur ? « Attention aux perceptions des différences qui ne reflètent pas toujours la réalité, prévient Marie-Françoise Fuchs. On voit plus facilement ce qui est donné aux autres et moins ce que l’on reçoit. » Cette grand-mère multirécidiviste – dix petits-enfants – entend bien se faire l’avocat de ses pairs ! « Si nous sommes parfois plus proches d’un petit-enfant, ce n’est pas dans un but d’injustice mais seulement parce que les circonstances de la vie sont ainsi. Si un de mes petit-fils s’invite à déjeuner à la maison je ne vais pas refuser de le voir par souci d’égalitarisme ou envoyer un panier de victuailles aux neuf autres ! » Certes ! Alors, soyons philosophes et gardons tous ces conseils bien en tête pour les années à venir.

Elisabeth Caillemer du Ferrage

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