Temps de lecture estimé : 9 minutes

NATHALIE Kosciusko-MORIZET « La base de la réussite, c’est la curiosité. Elle est  la vraie qualité à travailler chez les enfants » Danielou, Louis-le-Grand,  Polytechnique à 19 ans… et  secrétaire d’État chargée de l’écologie à 34 ans. Nathalie Kosciusko-Morizet nous livre les clés d’un parcours scolaire exemplaire, mais non pas  sans faute.

Propos recueillis par Marie BERNARD

Marie Bernard : Avec quelques années de recul, pourriez-vous nous donner la clé de votre réussite scolaire ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Je crois avoir eu quelques bons profs qui, au cours de mon parcours, m’ont passionnée et ont capté  mon attention tantôt sur  l’une, tantôt sur l’autre matière. Ce sont les profs  qui ont été importants pour  moi. J’étais mauvaise en  français quand je suis arrivée en seconde, puis j’ai eu un très bon prof et je suis devenue très bonne. J’ai lu beaucoup de philo en terminale, car j’avais  un bon prof de philo. Je me suis toujours intéressée à l’histoire car, dès la sixième, j’avais des profs qui donnaient à cette  matière un intérêt contemporain. En revanche, je n’ai pas fait de rencontres en  langue. L’anglais, je l’ai appris en faisant des  séjours à l’étranger après.

M.B : Le choix des établissements a-t-il été déterminant dans votre parcours ?

N.K.M: Ce n’est pas parce qu’un lycée est extraordinaire du point de vue académique qu’il a une dimension humaine. La réussite  scolaire ne repose pas tant sur le choix de l’établissement que sur la qualité des profs qui y enseignent. Elle dépend des rencontres  humaines qu’il y aura ou pas. Et de  très bons profs, il y en a dans tous les établissements. Il y a  ensuite plus ou moins de concentration…

M.B : En quoi le rôle des enseignants est-il si important ?

N.K.M : Les rencontres avec les matières sont d’abord des rencontres avec des personnalités. À l’adolescence, on a une grande capacité de dévotion. On est capable de  s’attacher très fortement à une personne ou, au contraire, de la rejeter. On met beaucoup de sentiment  dans la relation aux autres. L’adhésion ou l’aversion  pour une matière dépend essentiellement de la personnalité qui la révèle ou non. Il y a des disciplines dans lesquelles je suis restée très moyenne d’un bout  à l’autre de mon parcours scolaire. Par exemple, je n’ai jamais eu de prof de langues étrangères qui m’ait passionnée.

M.B : Quelles sont les qualités d’un bon prof ?

La rencontre avec un prof ne dépend pas uniquement de l’excellence académique. Elle dépend aussi de l’excellence humaine. À Louis-le-Grand, tous les  profs avaient une excellence académique et, pourtant, on ne peut pas considérer qu’ils aient été des révélations humainement ou qu’ils nous aient ouvert l’esprit. Ce n’est pas parce que ce lycée est extraordinaire que je dirais n’avoir eu que de très bons enseignants. J’ai gardé simplement le souvenir d’un prof de maths. Un vieux garçon au physique impossible qui avait un côté émotif extraordinairement touchant.

M.B : Quels traits de caractère sont essentiels à la réussite ?

N.K.M : La base de la réussite, c’est la curiosité. Elle est la vraie qualité à travailler chez les enfants. Un élève curieux, c’est une matière plus facile pour un prof qu’un élève indifférent. La curiosité s’entretient, tandis que l’indifférence se combat. On est plus ou moins curieux de nature, mais cela doit être entretenu par les professeurs. Elle est le capital le plus riche. C’est avec cela que les profs jouent. C’est ce qui doit être le plus valorisé. Les parents doivent  considérer que toute curiosité, même pour un sujet qui ne les passionne pas, est un patrimoine à faire fructifier.

M.N : Quelle élève avez-vous été ?

N.K.M : Les gens ont souvent un souvenir idyllique de leur enfance, moi pas. J’ai le souvenir d’avoir passé  beaucoup de temps à fuir l’ennui, à attendre que le temps passe. Les quelques  bons profs que j’ai eus sont ceux qui m’y ont aidée. J’étais dans des établissements autour desquels il n’y avait pas beaucoup de vie, où tout était réglé, organisé. Finalement, on espérait qu’il se passe quelque chose. On attendait toujours l’après. Les quelques bons profs qui mettaient beaucoup d’émotion n’avaient que plus de valeur et j’attendais leurs cours. C’est pour cela que j’attachais tant d’importance à ce qu’ils soient vraiment passionnés par leur matière.

M.B: Comment faire naître cette passion chez l’élève ?

N.K.M : Il y a peu de chance que la passion naisse chez l’élève  s’il elle n’existe pas du côté du prof. Ceux-ci doivent avoir conscience que, peut-être, ils laisseront des traces indélébiles dans la tête de leurs élèves. Lorsqu’une matière ne vous passionne pas et que le prof lui-même a l’air de s’ennuyer ou de faire son travail sans passion, c’est dur pour lui, c’est dur pour l’élève. A contrario, la passion du prof peut provoquer la passion de l’élève.

M.B : Quelles faiblesses de caractère avez-vous dû contrer dans ce parcours sans faute ?

N.K.M : Certains élèves sont très organisés. Ils sont capables de faire tout ce qu’on leur demande, je n’étais pas comme ça. J’avais du mal à m’intéresser aux choses sans passion. J’ai été une bonne élève, mais il y a des sujets sur lesquels je n’ai jamais vraiment accédé à la compréhension et qui, pour moi, sont restés des matières scolaires. J’avais besoin d’être totalement passionnée par un sujet pour m’investir dedans, quitte à être parfois un peu à contre-temps. J’avais, à certains moments, des passions très exclusives pour une matière. J’étais capable de m’évader, de faire complètement autre chose dans ma tête pendant un cours. Comme j’étais bonne élève, les profs ne s’en plaignaient pas trop. Ils ont une indulgence pour les bons élèves.

M.B : Quelle importance accorder aux résultats scolaires ?

N.K.M : Quand on est parent, il faut savoir à la fois attacher de l’importance aux résultats scolaires et relativiser. Lorsqu’il y a de mauvaises notes, pensez à tous ceux qui ont eu de mauvais résultats scolaires et qui sont devenus des génies. Et à tous ceux qui ont eu de bons résultats et qui n’ont absolument rien fait de leur vie après… Le major de ma promo à l’X, je n’en ai plus jamais entendu parler. Je ne sais absolument pas ce qu’il est devenu. Moi, j’ai raté le concours de Ulm et je ne suis pas allée au bout de celui de Centrale. En classe de seconde, je n’ai pas eu de résultats de maths durant un semestre entier. À chaque devoir sur table, j’étais prise d’accès d’angoisse. Je finissais à l’infirmerie…

M.B : Que devez-vous à vos parents ?

N.K.M : Ma mère enseignait la physique quantique en IUT. Comme souvent les profs, elle accordait de l’importance aux notes et à la réussite scolaire. Pour mon grand-père, normalien et ancien professeur, la réussite académique avait également une grande importance. Le fait que les parents marquent un intérêt pour la chose aide évidemment. Cela ne veut pas forcément dire qu’ils sont obsédés par les notes ou qu’ils nous font faire les devoirs tous les soirs… Il suffit qu’ils montrent que c’est important, que de temps en temps ils se plongent dans tel ou tel sujet du programme ou lisent une rédaction…

M.B : Des bons élèves, il y en a beaucoup. Mais qu’est-ce qui fait qu’un jour on intègre Polytechnique ?

Lorsque vous êtes en Math sup ou Math spé, on vous explique que certains concours nécessitent d’être vraiment très bon. Vous ne décrochez pas Centrale par hasard. Il faut avoir de la créativité. À Normale, ils recherchent un esprit scientifique, une originalité, une tournure d’esprit. Polytechnique apparaît comme un concours scolaire qui vise à sélectionner un esprit bien fait et bien construit à tous points de vue. C’est une forme d’académisme. Pour intégrer Polytechnique, vous avez besoin d’avoir suivi un parcours  académique qui vous permet de comprendre cela.

M.B Comment ouvrir les enfants sur le monde ?

Multiplier les rencontres avec d’autres adultes peut être extrêmement positif sur un plan éducatif. Cela leur ouvre des perspectives en matière d’études et de carrière. C’est quelque chose qui m’a manqué. Avant, la famille élargie avait aussi ce rôle. On s’intéressait à ce que faisait l’oncle, la tante. Maintenant que les  familles sont un peu plus resserrées, certains adolescents sont très isolés. Ils sont enfermés dans un tête-à-tête avec leurs parents qui n’est pas toujours productif. Il est très triste de voir les enfants s’enfermer dans le métier de leurs parents. Beaucoup le font car on ne leur a pas présenté autre chose.C’est dur pour un parent de se dire que d’autres peuvent faire mieux que lui. C’est parfois très brutal, d’autant que l’adolescence des enfants coïncide avec une période où les parents eux-mêmes changent.

M.B : Pourquoi les sujets liés à l’environnement et à l’écologie passionnent-ils davantage les jeunes que leurs parents ?

N.K.M : Comment se construisent les enthousiasmes générationnels ? Cela reste un mystère pour moi. D’ailleurs, je pense qu’il n’y a pas forcément à  l’expliquer. C’est un fait et je l’observe avec enthousiasme. Il s’est passé quelque chose de collectif à la fin des années 70, comme des vagues, des mouvements que je ne saurais expliquer. J’ai vu naître ce mouvement lors du parlement des enfants quand j’étais députée. Plus de la moitié des propositions de lois faites par les délégués de classes de CM2 concernaient l’environnement. C’est cette génération, aujourd’hui adolescente, qui prouve son intérêt pour l’environnement. On aurait tort de penser qu’il s’agit de l’effet Nicolas Hulot 2007. C’est une vraie vague de fond et je n’y donne pas d’explication.

M.B : Est-ce aux parents d’éduquer les enfants ou aux enfants d’éduquer les parents ?

N.K.M : Je ne veux pas que cet engouement des jeunes devienne un alibi pour les adultes : « Nous avons pris de mauvaises habitudes. Il est trop tard pour nous changer, mais nos jeunes sont tellement formidables… grâce à eux, la planète sera sauvée. » C’est illégitime, injuste et, en plus, c’est faux ! On peut être enthousiaste étant jeune et devenir un vrai cochon une fois jeune adulte. Quoi qu’il en soit, nous sommes dans l’urgence en matière d’écologie et on ne peut pas attendre que la génération actuellement en âge scolaire arrive aux manettes pour inverser les choses. C’est maintenant que ça se passe.

M.B : Comment éduquer dans ce domaine ?

N.K.M : L’éducation à l’environnement fait partie d’une éthique, de ce qu’on doit faire. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique environnementale, mais une part d’un ensemble.  C’est l’illustration, le signe d’une société qui se prend en main. L’environnement n’est pas un thème au milieu d’une matière. C’est l’ensemble de la société qui doit se transformer, l’école aussi.

M.B : À la fin de votre mandat, à quoi mesurerez-vous votre réussite ou votre échec dans la mission que l’on vous a confiée ?

N.K.M : J’ai la chance formidable d’être là au moment où l’on est passé de la prise de conscience au désir d’action. Depuis un ou deux ans, nous sommes dans le désir d’action. Je  mesurerai notre réussite à la capacité qu’on aura eue à donner aux Français les instruments de mettre leurs actions en résonance avec leur éthique, de transformer cette prise de  conscience en action véritable et quotidienne. Cette multiplicité d’instruments à mettre en place, c’est le verdissement de la fiscalité, c’est le bonus malus sur les voitures, c’est le diagnostic de performance énergétique quand on achète son logement, c’est la multiplication des transports en commun… Vous voulez faire de l’écologie ? On ne va pas le faire à votre  place, on va vous donner les moyens de le faire…

Témoignage: Marie-Jeanne Vergé-Loubé, institutrice de NKM en 1977

« Nathalie était une petite fille très calme qui observait beaucoup. Elle faisait tout très bien. Elle était très douée et je savais qu’elle irait loin. D’ailleurs, après la petite section, elle a sauté une classe pour passer directement au cours préparatoire. Un jour, elle a voulu que j’aille déjeuner chez elle. Ses parents m’ont alors très gentiment invitée. Je l’ai reconnue à la télévision. J’ai alors cherché dans mes photos de classe… et j’ai retrouvé. C’était l’année scolaire 1977-1978 (en jaune devant la maîtresse). Je suis très fière d’avoir été son institutrice ! »

Repères

14 mai 1973 : Naissance à Paris.

Lycée de Sèvres.

Elève au lycée Daniélou de Rueil-Malmaison.

Math Sup et Math Spé au lycée Louis-le-Grand.

Ecole nationale du génie rural des eaux et forêts.

Titulaire d’un M.B.A au Collège des ingénieurs.

2003 : Mariage avec Jean-Pierre Philippe, président-Ddirecteur général de Médical Mobil.

2007 : Elue députée de la 4ème circonscription de l’Essonne. Nommée Secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie.

Article réalisé par Marie Bernard

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.